"C'est la discipline idéale pour raconter des histoires aux adultes" : le film Mémoire d'un escargot déconstruit les préjugés autour de l'animation.
© Wild Bunch
Lauréat du Cristal du long-métrage au Festival d'Annecy, "Mémoires d'un escargot", la nouvelle tragi-comédie d'Adam Eliott sort en salles ce mercredi 15 janvier.
Quinze ans après la sortie de son premier film, Mary et Max, le réalisateur oscarisé Adam Eliott revient au cinéma avec un second projet, récemment récompensé du Cristal du long-métrage au Festival d'Annecy 2024 : Mémoires d'un escargot.
Cette tragi-comédie nous embarque dans la vie de la jeune Grace Pudel, collectionneuse d'escargots. Arrachée à son frère jumeau Gilbert à la mort de leur père, elle atterrit dans une famille d'accueil. Grace s'enfonce peu à peu dans le désespoir, jusqu'à sa rencontre salvatrice avec Pinky, une octogénaire excentrique qui va lui apprendre à aimer la vie et à sortir de sa coquille...
Un projet inspiré et inspirant
À l'occasion de sa sortie dans les salles obscures françaises, nous avons pu rencontrer Adam Eliott, venu nous parler de la genèse du film et de son histoire, très personnelle, née de son imagination il y a près d'une décennie. "Tout a commencé à la mort de mon père, il y a huit ans. Il a laissé derrière lui trois garages remplis de tout un tas de choses. J'en suis venu à me demander pourquoi certains êtres humains collectionnent jusqu'à l'accumulation."
L'idée d'en faire le sujet de son prochain long-métrage germe alors dans l'esprit du réalisateur qui se référence d'abord auprès d'experts et de livres spécialisés sur la syllogomanie : "J'ai découvert que beaucoup de personnes atteintes de ce trouble du comportement avaient vécu des traumatismes très souvent liés à la perte d'un enfant, ou d'un frère ou d'une sœur."
À partir de ce contexte, Adam Eliott se lance dans la création de sa protagoniste, soutenu par un carnet de notes qu'il alimente de réflexions en tout genre depuis trente ans. C'est dans ces écrits qu'il retrouve la mention d'une amie née avec un bec-de-lièvre. "Elle a subi beaucoup de harcèlement à l'école à cause de ça, mais elle est quand même devenue une adulte confiante." Ces quelques mots posés dans un journal, des années auparavant, donnent alors naissance au personnage de Grace Pudel, jeune femme avec une fente labiale et collectionneuse compulsive d'escargots.
Un animal totem pourtant bien différent de celui choisi au départ par l'artiste australien : "À la base, le film devait s'appeler "Memoir of a ladybird". Mais peu de temps après, le film "Lady Bird" de Greta Gerwig est sorti, ce qui m'a poussé à remettre ce choix en question. J'ai réalisé que la coccinelle avait un côté doux et optimiste qui ne collait pas vraiment à l'histoire. Alors je me suis mis à chercher un autre animal."
L'escargot ressort alors grand vainqueur de cette réflexion pour trois raisons : "Premièrement, si vous touchez leurs antennes, elles se rétractent, ce qui leur donne cette étiquette d'introvertis du règne animal. Deuxièmement, la spirale de la coquille est un rappel au cycle de la vie et au côté répétitif des choses. Et enfin, il faut savoir que les escargots ne peuvent pas reculer. Ils sont forcés d'aller de l'avant."
Des caractéristiques en adéquation avec le message d'espoir porté par le film et avec la citation favorite de son réalisateur : "La vie doit être vécu en regardant vers l'avenir, mais elle ne peut être comprise qu'en se retournant vers le passé" par le théologien danois, Soren Kierkegaard.
De l'animation pour les adultes
Fort des succès de Mary et Max, Cristal du long-métrage du Festival d'Annecy 2009, et de son court métrage oscarisé Harvie Krumpet, Adam Eliott poursuit sur sa lancée et aborde Mémoires d'un escargot sous le prisme de l'animation.
"C'est la discipline idéale pour raconter des histoires aux adultes. C'est un art qui nous offre ce formidable outil qu'est l'exagération. Il nous permet de souligner, d'amplifier les émotions. Je pense que mes films ne fonctionneraient pas aussi bien s'ils étaient faits en prises de vue réelle."
Il faut savoir que les escargots ne peuvent pas reculer. Ils sont forcés d'aller de l'avant. Un choix de direction artistique qui se quantifie en plusieurs dizaines de semaines de tournage, environ 200 décors, 135 000 prises de vues et en milliers d'heures passées dans le noir à déplacer les personnages, image par image : "La stop motion est très chronophage, mais si j'utilisais le numérique, je passerais mes journées assis devant un écran. Moi, ce que j'aime, c'est la colle, la peinture, la sculpture."
Derrière cette passion pour la 3D et le travail manuel se cache également une volonté de déconstruire le préjugé tenace associant l'animation à un contenu pour enfant. Un stéréotype fermement ancré aux Etats-Unis, notamment à cause des firmes Disney et Warner Bros, d'après Adam Eliott. Selon lui, en Europe, des productions telles que "Les Triplettes de Belleville" de Sylvain Chomet ont permis une meilleure acceptation de l'animation en tant que "genre" pour adultes : "C'est pour ça que je parle de Paris dans le film. Les Français ont une sensibilité pour le côté noir du cinéma."
Une histoire de rires, de larmes et d'imperfections
"Si vous n'êtes pas totalement rincé émotionnellement après avoir vu un de mes films, c'est que je n'ai pas réussi," révèle Adam Eliott quand on lui pose la question sur ses intentions cachées derrière ses histoires. À la frontière entre le tragique et le comique, le réalisateur s'amuse à équilibrer l'humour et le pathos, convaincu de l'efficacité d'un tel mélange sur le public.
Une double facette que l'on retrouve dans ses scénarios, mais aussi dans sa façon de travailler ses personnages : "C'est bizarre, car je suis quelqu'un de très carré et d'organisé. Mais je pense qu'à trop chercher la perfection, on risque d'oublier ce pour quoi nous travaillons. J'essaye de créer mes personnages, visuellement et psychologiquement, selon le Kintsugi. C'est difficile à expliquer, mais, en gros, je travaille activement à les rendre imparfaits."
En route vers les Oscars 2025 ?
Après avoir remporté la récompense suprême du Festival d'Annecy en juin 2024, Mémoires d'un escargot prend doucement le chemin des Oscars avec une fort probabilité d'éligibilité. "Nous attendons de savoir s'il fera parti des nommés. En attendant, le film était candidat au Golden Globes, mais c'est mon ami Gints Zilbalodis qui l'a remporté avec son long-métrage "Flow" (Prix du jury, Prix du public au Festival d'Annecy 2024). C'est toujours comme ça. Je gagne, il perd. Je perds, il gagne."
Mais plutôt que de réfléchir à ses futures potentielles récompenses, Adam Eliott préfère se tourner vers l'avenir, à l'image de ses escargots, et a déjà entamé l'écriture de son prochain projet qui s'annonce très différent de ses précédentes créations.
"J'ai réalisé que j'avais fait trop de films où les personnages principaux sont coincés dans leur banlieue, enfermés dans leur petite chambre. Alors, je veux que mes futurs protagonistes soient à l'air libre. Pourquoi pas sur la route ? L'héroïne de mon prochain long-métrage sera une sorte de vieille excentrique."
Mémoires d'un escargot sort ce mercredi 15 janvier dans les salles de cinéma françaises.
publié le 15 janvier, Manon Maroufi, Allociné