Actus TV média

Stéphane Sitbon-Gomez : "Les Jeux olympiques de Paris 2024 ont récompensé la dynamique de long terme de France 2"

France Télévisions propose une chaîne numérique dédiée aux JO de Paris 2024. - © © Gilles GUSTINE - France Télévisions

Stéphane Sitbon-Gomez, directeur des antennes et des programmes de France Télévisions, a accordé un long entretien à Puremédias. Dans cette seconde partie, il revient sur l'année 2024 historique pour le groupe public et détaille sa politique en matière de fictions.

"TF1 mène une stratégie multi-feuilletons. Notre travail consiste à nous différencier". Tel est le leitmotiv de Stéphane Sitbon-Gomez, qui décrypte dans un long entretien accordé à Puremédias, la stratégie du groupe public en matière de fictions. Avant de se projeter complètement sur 2025, il dresse le bilan de 2024, une année olympique et historique pour France Télévisions.La première partie de l'interview est à lire ici : Stéphane Sitbon-Gomez annonce travailler à "une grille de France 4 plus lisible avec des rendez-vous plus affirmés" pour l'arrivée de la chaîne sur le canal 4 de la TNTPropos recueillis par Ludovic Galtier LloretPuremédias : En progression continue depuis 2017, France 2, leader en juillet et en août devant TF1 pour la première fois depuis la privatisation de cette dernière en 1987, a conquis en moyenne 15,8% du public en 2024. Heureux de ce bilan ?Stéphane Sitbon-Gomez : 2024 est une leçon pour la télévision. 2024 a montré que quand la télévision veut, elle peut. Nous commentons régulièrement le déclin du linéaire, son remplacement par les nouveaux usages mais quand on fait le pari du direct, quand on a des événements très forts et que nous les mettons en scène avec la télévision, nous atteignons des résultats exceptionnels et sur tous les publics. C'est vrai pour les Jeux olympiques mais cette place qu'a pris l'événement dépasse de très loin les deux semaines de compétition. Jamais, les paralympiques n'avaient connu pareille exposition et peu croyaient à l'avance à ce succès. Il y a eu d'autres aspects événementiels tels que l'arrivée de la flamme à Marseille le 8 mai jusqu'à la réouverture de Notre Dame de Paris. Les JO ont récompensé la dynamique de long terme de France 2 qui a conservé son marqueur très fort de service public. Nous avons diffusé 30 soirées documentaires et la place de la création sur les chaînes du groupe est inédite.

"Est-ce que je sens la menace TF1 se rapprocher autour du Tournoi des VI Nations ? Évidemment"Stéphane Sitbon-Gomez

Tous les mois de l'année 2024 n'ont pas été rayonnants pour autant. France 2 perd par exemple jusqu'à 1,3 point de part d'audience sur un an en novembre... Les deux mois estivaux exceptionnels ne sont-ils pas l'arbre qui cache la forêt ?Non, le premier semestre était très bien et nous avons connu un bon mois de septembre. Le mois de novembre n'est, en effet, pas un mois toujours facile pour nous. En 2024, nous avons fait le choix stratégique de renforcer l'été, une période qui d'habitude est désinvestie par les chaînes. Tous nos moyens ont été concentrés entre avril et septembre. Évidemment, vu que nous n'avons pas non plus des moyens exponentiels, nous savions qu'il y aurait des mois plus faibles que d'autres. C'est avec cette contrainte en tête que nous construisons notre grille.

2024 l'a confirmé : le sport reste le genre le plus fédérateur à la télévision. Redoutez-vous que TF1, qui a diffusé avec succès le tournoi d'automne de rugby, lorgne les droits de retransmission du Tournoi des VI Nations historiquement dans l'escarcelle de France Télévisions ?Ce contrat est pour nous l'un des plus importants. Il est populaire, il est fédérateur. Il y a une histoire de 40, 50 ans entre le rugby et France 2 et nous allons tout faire pour le garder. Est-ce que je sens la menace se rapprocher ? Évidemment, nous sommes dans un univers très concurrentiel. Quand TF1 nous chipe le tournoi d'automne, c'est un coup dur pour les équipes. Ce qui a été exprimé partout au moment des matchs de cet automne, c'est qu'il y a un attachement entre le monde du rugby français et les commentateurs de France Télévisions. J'ai conscience de ma responsabilité qu'est de réussir à conserver le Tournoi des VI Nations.

D'autres droits sportifs intéressent-ils France Télévisions ?Il y en a plein qui m'intéresse mais il n'y en a peu pour lesquels on a les moyens. Mais cela fait un moment que je pense qu'il y a quelque chose à faire autour du basket français.

"Je ne suis pas certain qu'il y ait une place pour un nombre illimité de feuilletons"Stéphane Sitbon-Gomez

Malgré une très belle performance lors des Jeux olympiques en août et des soirées fictions françaises qui cartonnent le mardi et le samedi soir, France 3 glisse sous les 9 points de part d'audience en 2024 (8,9%). Est-ce une déception ?Quand je suis arrivé à France Télévisions en 2015, l'enjeu était que France 3 conserve son statut de troisième chaîne de France. Ce statut est désormais incontesté depuis 2018 dans une période où la chaîne est en pleine réinvention avec la montée en puissance de la régionalisation des programmes et la création de cases dédiées et labellisées Ici. Rappelons aussi qu'à part France 2, toutes les chaînes historiques sont en baisse ou se stabilisent. J'aurais évidemment préféré que France 3 finisse l'année à 9 points mais cela reste une barre symbolique. Ma satisfaction de l'année sur France 3 est le transfert du feuilleton "Un si grand soleil"...

Le feuilleton, diffusé à l'origine après le "20 Heures" de France 2, multiplie en effet l'audience de la case par 2,5 sur un an. Il a néanmoins réuni une moyenne de 2,40 millions de téléspectateurs et 12,0% du public chaque soir entre le 9 septembre 2024 et le 7 janvier 2025 en linéaire sur France 3. Ils étaient 3,34 millions et 16,1% du public sur la même période l'an passé sur France 2...Si "Aux jeux citoyens", diffusée dans cette case la saison dernière avait rempli ses objectifs, le carrefour 20h-21h de France 3 était clairement en difficulté depuis l'arrêt de "Plus belle la vie" et nous devions trouver une réponse structurelle. Et on l'a trouvée. Elle a permis en plus à l'ensemble du groupe de progresser sur cette tranche d'access. Le transfert du feuilleton sur France 3 ne s'est pas fait au détriment de France 2 et l'extension de l'information sur France 2 n'impacte pas l'audience de "C à vous, la suite" sur France 5. "C à vous" fait cette année encore une de ses meilleures saisons, on n'arrête plus ce succès.

Ne peut-on pas interpréter cette bascule du feuilleton quotidien de France 2 vers France 3 comme un retour à la case départ ? Le 20h-21h de France 3 était déjà dévolu à ce genre et à "Plus belle la vie" entre 2004 et 2022...Je me réjouis du succès de "Plus belle la vie" sur TF1 mais le feuilleton était sur France 3 sur une pente très décroissante. Ce qui n'est pas le cas d''Un si grand soleil', qui fédère tous les jours plus de 3,5 millions de Français entre ceux qui le regardent à l'heure, en preview ou en rattrapage. C'est vraiment le premier feuilleton des Français.

Alors que France Télévisions ne diffuse plus qu'un feuilleton quotidien, TF1 se prépare à en accueillir un quatrième dans sa grille. Que vous inspire le déploiement de moyens de TF1 sur le feuilleton qui ne semble plus être une priorité pour France Télévisions.TF1 mène une stratégie multi-feuilletons. Notre travail consiste donc à nous différencier. Je ne suis pas certain qu'il y ait une place pour un nombre illimité de feuilletons pour l'ensemble du public. Si c'est un genre très efficace en non-linéaire, et je comprends la stratégie de TF1 à cet égard, cela reste un genre coûteux. Notre stratégie est plus orientée en fiction sur nos mini-séries de prime time qui connaissent elles aussi un grand succès en non-linéaire. Nous avons diversifié notre offre : "Rivages" et "Made in France" (diffusé ce mercredi 15 janvier, ndlr) en sont des illustrations, "Anaon" arrive aussi bientôt. Une stratégie qui reposerait sur le feuilleton nous empêcherait de proposer un catalogue aussi divers. À nous de l'alimenter avec plus d'inédits, avec de nouvelles marques. C'est un très gros travail réalisé par l'équipe fiction, composée aujourd'hui de professionnels reconnus comme étant les meilleurs dans leur domaine.

"Notre offre de polars à succès nous permet de faire des incursions dans tous les univers et tous les genres"Stéphane Sitbon-Gomez

La programmation de mini-séries n'est pas toujours couronnée de succès... Ces derniers temps, "Ça, c'est Paris !" et "Dans l'ombre" l'ont prouvé...Nous le savions quand nous avons pris le risque de mettre à l'antenne ces deux mini-séries qui ne sont pas policières. C'est moins facile. C'est la raison pour laquelle je tiens à l'équilibre : c'est notre offre de polars à succès qui nous permet de faire des incursions dans tous les univers et tous les genres pour répondre à une plus grande variété de publics. La première soirée de "Zorro", par exemple, a permis à France 2 de signer son record sur les jeunes pour une mini-série internationale en coproduction depuis 2009.

Dans la grille, les fictions et les mini-séries sont omniprésentes en prime time : le lundi, le mercredi et le vendredi sur France 2, le mardi, le jeudi et le samedi sur France 3. Ces cases ont-elles vocation à bouger ?Je tiens à la structure de rendez-vous identifiés par le public fan de fiction. La progression sur une saison de la case du mercredi de France 2 par exemple est dingue. La case du vendredi de France 2 est en 2024 à des niveaux jamais atteints précédemment. Le lundi est une case plus difficile pour deux raisons : la première, c'est que TF1 a beaucoup réinvesti la case et propose des fictions très fortes comme "Cat's Eyes" ou "Erica". Il s'agit donc d'une case plus concurrentielle, encore plus quand M6 aligne "L'amour est dans le pré". Seconde raison : le lundi est la case où nous exposons nos fictions les plus ambitieuses. Nous cumulons donc les difficultés le lundi, qui se maintient tout de même à un très bon niveau.

Si l'on ne s'intéresse qu'aux fictions avec héros récurrents, ces dernières années certaines d'entre elles ont basculé d'une chaîne à l'autre. C'est le cas de "Capitaine Marleau" et "Alex Hugo". Y en aura-t-il d'autres et quels critères prévalent à leur programmation sur France 2 ou France 3 ? Nous sommes satisfaits des transferts passés mais non, il n'y en a pas d'autres de prévus. Aujourd'hui, nous essayons de nous en tenir à nos rendez-vous et à leur lisibilité pour les téléspectateurs. Ce qui prévaut dans nos décisions, c'est d'intégrer la notion d'ancrage au sein des territoires dans les fictions sur France 3. Sur France 2, le vendredi, l'idée c'est que les personnages sont plus forts que leurs enquêtes.

Toutes les fictions avec héros récurrents sont-elles renouvelées ?Oui et nous avons quelques projets avec de nouveaux récurrents. "Tom et Lola" sur France 3 a été une belle réussite cette saison.

"Mon avenir est lié à celui de Delphine Ernotte et il le sera toujours"Stéphane Sitbon-Gomez

Il y a également de l'enjeu pour la diffusion du cinéma. Une chaîne gratuite doit aujourd'hui patienter 22 mois après la sortie d'un film en salles avant d'être autorisée à le proposer sur son antenne. 2025 est l'année de la remise à plat de la chronologie des médias. Qu'espérez-vous comme changement pour l'exposition du cinéma sur les chaînes en clair ?Les chaînes en clair ne peuvent pas être les dindons de la farce d'un accord entre les plateformes payantes. Il y a un besoin d'une exposition gratuite du cinéma pour financer les œuvres et renforcer la cinéphilie des Français. Il est donc important qu'il y ait des fenêtres de diffusion qui ne soient pas captées par des plateformes de streaming. Je crois que nous pouvons tous nous dire que nous sommes tardifs dans la chronologie. Dans un monde où tout s'accélère, c'est un problème pour les œuvres.

Enfin, question plus personnelle : que peut-on vous souhaiter pour 2025 ? Un troisième mandat pour Delphine Ernotte à la tête de France Télévisions ?Mon avenir est lié à celui de Delphine Ernotte et il le sera toujours. Je suis arrivé à la télévision parce qu'elle m'a demandé de l'accompagner. J'exerce les responsabilités que j'exerce parce qu'elle m'a demandé de les exercer. Je pense que personne dans l'histoire de France Télévisions n'aura transformé cette boîte comme elle l'a fait.

publié le 15 janvier, Ludovic Galtier Lloret , Puremédias

Liens commerciaux