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Blue Jean : cette histoire vraie méconnue a eu un impact majeur sur la vie de milliers de Britanniques

Après Aftersun, découvrez Blue Jean, nouvelle pépite d'une autre jeune réalisatrice britannique. Un film très fort qui s'intéresse à une partie méconnue de l'Histoire britannique, la Section 28. Nous avons rencontré la cinéaste, Georgia Oakley.

De quoi ça parle ?

1988, l'Angleterre de Margaret Thatcher. Jean, professeure d'éducation physique, est obligée de cacher son homosexualité, surtout depuis le vote d'une loi stigmatisant la communauté gay. C'est sans compter sur une nouvelle étudiante qui menace de révéler son secret...

Quelques mois après la sortie en France d'Aftersun de Charlotte Wells, voici une nouvelle pépite venue d'outre-Manche, témoignant de la belle vitalité d'un nouveau courant du cinéma britannique, plus inclusif, et porté par de jeunes réalisatrices.

Blue Jean est le premier long métrage de Georgia Oakley, précédé d'un joli bouche à oreille, grâce notamment à des prix du public glanés au fil de festivals internationaux, à commencer par le prestigieux Festival de Venise, où il a décroché le Giornate Degli Autori's People Choice Award.

Blue Jean, dont le scénario a nécessité près de 4 ans de travail et de recherches, s'intéresse à un sujet très méconnu en France, mais aussi peu connu au Royaume-Uni, pays où se déroule l'intrigue. Au coeur du film, il est question de la Section 28*, qui a conduit à la stigmatisation de la communauté LGBTQ+ pendant près de 15 ans, à une époque pas si lointaine, puisque la loi a été abrogée en 2003.

Pour parler plus en détails de ce film et de cette vague britannique qui arrive jusqu'à nous, nous avons rencontré la scénariste et réalisatrice Georgia Oakley, lors de son passage à Paris, il y a quelques jours.

AlloCiné : Pouvez-nous parler du choix de faire un film sur ce sujet, la Section 28* ? Outre la méconnaissance de cette partie de l'Histoire britannique récente, y avait-il l'envie également de combler un déficit de représentation, en l'occurrence de la communauté queer ?

Georgia Oakley, scénariste et réalisatrice : Oui, il y a les deux aspects. La productrice du film Hélène Sifre et moi parlions du fait que nous voulions voir plus de films sur certains aspects de l'expérience d'être queer, comme l'homophobie intériorisée, et le fait que l'on puisse se comporter différemment dans différents moments de nos vies. On appelle ça la performativité, la performance de soi. C'est à dire que quand on est avec notre famille, on va se comporter de telle façon, puis être une personne totalement différente au travail.

Il était clair pour moi que c'était une partie de l'Histoire britannique qui était sous le tapis, et c'est quelque chose qui a eu un gros impact sur moi. Nous évoquions ces sujets ensemble, et tout en faisant des recherches sur d'autres sujets, je suis tombée sur un article parlant de la « Section 28 » *. Je n'en avais jamais entendu parler. Il était clair pour moi que c'était une partie de l'Histoire britannique qui était sous le tapis, et c'est quelque chose qui a eu un gros impact sur moi, du fait de grandir en Grande-Bretagne, d'être à l'école alors que cette loi avait cours. Ce sujet m'a semblé un bon moyen d'explorer ces thèmes dans un film, et de pouvoir, en quelque sorte, canaliser mon expérience d'homophobie intériorisée, mais à travers le regard d'une personne extérieure à moi, et en le situant dans cette époque des années 80.

Nous avons pu rencontrer plusieurs profs de sport ayant exercé à cette époque, et leurs histoires ont inspiré globalement le personnage principal de Jean (Rosie McEwen). C'était excitant de pouvoir lier à la fois des choses très éloignées de moi, puisque je suis née l'année de la mise en place de cette loi (1988, Ndlr.), et beaucoup de choses qui me sont très personnelles.

L'accès à des informations sur la Section 28 a-t-il été simple ?

A Londres, nous avons un centre d'archives LGBTQ+, qui nous a beaucoup aidé et nous a permis d'accéder à beaucoup de photos. Mais il n'y avait jamais assez de documentation. A l'origine, nous voulions d'ailleurs montrer, à la fin du film, des archives d'une des marches qui a eu lieu à Newcastle. J'ai trouvé un discours incroyable tenu par un certain Bob Crossman, un homme politique pour le parti travailliste à l'époque. J'ai découvert son discours et je voulais rassembler des archives pour le mettre en image. Mais je n'ai pas réussi à trouver les archives précises dont j'aurais eu besoin. Il y avait quelques photos, mais c'est tout.

Toutes ces archives ont été partagées avec les actrices du film, comme des exemplaires du magazine Pink Paper par exemple. Donc, il y avait à la fois beaucoup d'archives, mais en même temps, jamais assez. C'est vraiment par hasard que je suis tombée sur un journal académique en ligne qui avait recueilli des interviews de profs de sport lesbiennes, de façon anonyme, et avaient raconté leur expérience de travailler pendant qu'il y avait la Section 28 en place. J'ai contacté la personne qui avait fait ces interviews, qui nous a dirigé vers une autre personne qui s'est avérée être une des personnes à avoir témoigné à l'époque. Puis, elle nous a mis en contact avec d'autres personnes.

Nous avons dû rencontrer une cinquantaine de personnes connectées à ce sujet. Il y a eu un effet boule de neige à partir de ce moment. Nous avons dû rencontrer une cinquantaine de personnes connectées à ce sujet, au final. Il n'y avait pas seulement des profs de sport, mais aussi des activistes, des acteurs gay ou des hommes ou femmes politiques. C'était important pour le film, mais aussi en tant que personne queer en Grande-Bretagne. A l'origine, nous voulions faire un documentaire en parallèle, avec toutes les informations que nous avons trouvé, mais nous avons manqué de temps.

Blue Jean a la particularité d'avoir plusieurs Français dans son équipe, comme la productrice Hélène Sifre que vous citiez plus haut, et votre chef opérateur, Victor Seguin. Etait-ce volontaire, d'autant que je crois savoir que vous vous intéressez particulièrement au cinéma français ?

Quand j'ai grandi, je regardais surtout des films anglais ou américains. Mais je me souviens encore très précisément du moment où j'ai découvert le cinéma français et européen plus largement. C'est là que j'ai découvert le cinéma en tant qu'art, et c'est à ce même moment que j'ai compris que c'est le métier que je voulais faire.

J'ai toujours été particulièrement inspirée par le cinéma français. Quand j'ai rencontré ma productrice, Hélène Sifre, c'est ça qui a fait que l'on s'est connectées très vite. On a vite compris qu'on avançait dans la même direction.

Divines est le genre de film qui n'aurait pas pu être fait au Royaume-Uni. Je me souviens que Divines d'Houda Benyamina venait juste de gagner la Caméra d'or, et on avait toutes les deux adoré ce film. C'est le genre de film qui n'aurait pas pu être fait au Royaume-Uni. On a trouvé un terrain commun avec ce film. Et c'était intéressant qu'elle participe avec moi à ce film, avec sa propre expérience de femme queer, qui a grandi en France et n'avait aucune connaissance de la Section 28. C'était intéressant car c'est comme si elle représentait le public hors Royaume-Uni, dans le sens où tout était nouveau pour elle.

Idem pour le chef opérateur Victor Seguin. Venant de Paris, il avait un regard extérieur sur la ville de Newcastle, où a été tourné le film. Cela permettait de jeter un regard nouveau sur la ville, sans avoir vu tous les autres films tournés dans cette ville. Il a pu apporter sa propre sensibilité, et ça apporte une certaine pureté. C'était pour moi la personne parfaite pour être le chef opérateur.

Pour revenir au cinéma français / francophone que vous évoquiez plus haut, avez-vous en tête des films français, autres que Divines, qui vous ont marquée ?

Je me souviens avoir vu Tomboy de Céline Sciamma, en 2011, et c'était l'époque où je prenais conscience que je voulais faire du cinéma. J'avais un abonnement à une boutique de location de DVD. Je me souviens avoir emprunté des films des frères Dardenne aussi. Je pense aussi à De rouille et d'os de Jacques Audiard. Et plus tard, Divines qui m'a beaucoup inspirée en tant que premier long métrage.

A l'université, j'ai notamment étudié le cinéma français et latino-américain. Ça m'a ouvert les yeux sur plein de choses. Mais je me suis toujours sentie attirée par le cinéma français.

Il se dégage une authenticité, une honnêteté dans le cinéma de Chantal Akerman Dans la note d'intention du film, il est fait mention également de Chantal Akerman, en tant qu'influence. En France, ses films ont longtemps été considéré comme, en quelque sorte, un trésor caché, car difficiles à voir ! Jeanne Dielman ressort justement au cinéma ce mercredi.

Elle a été citée en tête du classement Sight and Sound, donc désormais son influence est plus connue qu'avant. Je trouve qu'il se dégage une authenticité, une honnêteté dans son cinéma, comme on en avait jamais vu avant. Ça me fait plaisir de savoir que ses films commencent à devenir plus accessibles.

La réalisatrice Joanna Hogg a organisé une série de projections de ses films, puis un livre est sorti sur elle, auquel elle a participé (Chantal Akerman Retrospective Handbook, édité chez A Nos Amours, en 2019, Ndlr.). Je me souviens m'être procurée ce livre et avoir rencontré Joanna Hogg au cours d'un « Lab » organisé par BBC Films.

Peut être est-ce un effet de loupe, que nous seuls journalistes voyons, mais il semble qu'un vent nouveau venu d'outre-Manche arrive à nous, avec Charlotte Wells, réalisatrice d'Aftersun, votre film, et aussi la mise en lumière récente des premiers films de Joanna Hogg....

Il se trouve qu'il y a un lien entre tous ces films. L'équipe qui a travaillé sur les films les plus récents de Joanna Hogg, celle d'Aftersun et celle de Blue Jean, a en commun une partie de la production exécutive. Je pense que les personnes qui font des choix pour que ces films puissent être financés encouragent plus de femmes à raconter leur histoire, plus de personnes racisées, et tout ce qui fait avancer dans la bonne direction, avec des aides publiques comme la BBC ou le BFI (British Film Institute).

Je suis une très grande fan de Joanna Hogg, et d'ailleurs son court métrage Caprice passe en fond sonore dans mon film, quand Jean et sa petite amie Vivian regardent la télé ensemble, en mangeant des nouilles chinoises.

Par ailleurs, j'ai rencontré Charlotte Wells via le circuit des festivals. C'est très positif qu'il y ait deux réalisatrices britanniques queer qui font leur premier pas en même temps. Nous avons beaucoup en commun donc c'était super de se rencontrer. Il y a des cinéastes queer ou racisés qui émergent en ce moment. Tout ça est très excitant et il y a du changement qui arrive dans un sens positif.

Votre film suscite très probablement un partage d'expérience de la part de ses spectatrices et spectateurs... Pouvez-vous nous parler des témoignages particulièrement forts que vous auriez peut être reçu ?

Il y a beaucoup de professeurs qui ont été émus et me l'ont exprimé. On pouvait sentir en quoi cette expérience de voir le film pouvait être cathartique pour elles ou eux. Il y a aussi des personnes plus jeunes qui n'ont pas posé de questions, mais m'ont envoyé des messages après. Vous pouvez sentir dans leurs messages qu'il y a eu comme un déclic en voyant le film, et qu'ils découvrent des choses sur eux-mêmes. C'est forcément très émouvant car le film montre aussi une personne jeune qui essaye de trouver sa place, et on lui dit qu'elle ne devrait pas être comme ça. Pour moi c'est forcément émouvant d'entendre ce genre de réactions, car je ne l'avais pas forcément anticipé. Il y a aussi d'autres types de réaction à l'international, où l'on me remercie pour le film.

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Blue Jean, écrit et réalisé par Georgia Oakley, avec au casting Rosy McEwen, Kerrie Hayes, Lucy Halliday..., sort au cinéma ce mercredi 19 avril 2023.

Propos recueillis à Paris, par Brigitte Baronnet, le 5 avril 2023

* Cet amendement en place de 1988 à 2003 indiquait qu'on « ne devait pas promouvoir intentionnellement l'homosexualité ou publier de documents dans l'intention de promouvoir l'homosexualité » ou « promouvoir l'enseignement dans aucune école publique de l'acceptabilité de l'homosexualité en tant que prétendue relation familiale ».

publié le 19 avril, Brigitte Baronnet, Allociné

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