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"L'omerta est partout" : ce film au message fort avec Bérénice Béjo est à voir au cinéma

Au cinéma cette semaine, "HLM Pussy" est le premier long métrage de la jeune cinéaste Nora El Hourch. Rencontre avec cette réalisatrice qui nous parle de ce film coup de poing dénonçant les agressions sexuelles.

Oscars 2024 : votez pour vos favoris ! En salles le 6 mars, HLM Pussy nous présente Amina, Djeneba et Zineb, trois adolescentes inséparables. Elles postent sur les réseaux sociaux une vidéo mettant en cause l'agresseur de l'une d'entre elles. Elles devront choisir entre sauver leur amitié ou céder face aux pressions. À l'occasion de la sortie du long-métrage, AlloCiné a rencontré sa réalisatrice, Nora El Hourch, dont c'est le premier film sur grand écran.

AlloCiné : HLM Pussy est votre premier long-métrage, pouvez-vous nous raconter le parcours qui vous a conduit jusqu'à la réalisation de ce premier film ? J'ai toujours écrit.

Nora El Hourch : Depuis mes 6 ans, j'ai le besoin viscéral et inexplicable d'écrire des histoires. Et puis un jour, j'ai 20 ans, et je m'envole pour les Etats-Unis. Un besoin de liberté et d'indépendance. Un an plus tard, je rentre en France bouleversée. Je ne suis plus la même. On m'a agressée sexuellement.

Peu à peu, je reprends l'écriture mis alors de côté et j'écris sur ce drame. Je n'ai pas seulement l'envie de me raconter mais l'envie d'atteindre et de m'adresser aux "autres moi" partout dans le monde. J'ai envie d'aider avec l'art. Mon art. Un art que j'ai littéralement appris en faisant. Pour toucher le plus de monde j'étais très vite partie d'un écrit auquel je voulais ajouter le pouvoir de l'image.

Il en est sorti Quelques secondes, mon court métrage. Le film a eu un parcours incroyable et a atteint celles que je voulais rencontrer. J'ai eu beaucoup de "merci". Et c'est comme ça que j'ai décidé de continuer à faire des films.

En somme, je suis une femme à qui il est arrivé un drame, et qui un jour a voulu en parler. Je n'ai jamais voulu être réalisatrice. Mais mon message est tellement fort qu'il a pris le dessus. Alors j'ai appris à faire des films et à écrire des scénarios. Voilà comment je suis arrivée là. Et j'espère y rester tant que j'aurai des choses à dire.

Le film évoque notamment le tabou des agressions sexuelles dans les cités comme celle décrite dans le récit ; selon vous, pourquoi les femmes de ces milieux n'ont pas été vraiment emportées par le mouvement metoo ? Existe-t-il une sorte d'omerta face aux menaces de mort qui peuvent découler de ces dénonciations ?

Je n'ai pas la sensation d'avoir écrit un film qui dénonce les agissements de tel ou tel milieu. Zineb d'un côté, Anne de l'autre, toutes deux du même âge, 15 ans, et pourtant déjà toutes deux des victimes d'agression sexuelle. L'omerta est partout, quel que soit le milieu social.

L'omerta est partout, quel que soit le milieu social. Ce que j'ai voulu montrer c'est plutôt que l'on ne peut pas demander à toutes les femmes de se battre avec les mêmes armes, la même intensité et la même priorité face au débat autour du MeToo. De façon générale, personne ne peut se battre pour le même combat de la même façon. Cela dépend forcément d'où l'on vient, de nos traumas, de nos blessures, de nos insécurités sociales et financières.

C'est de ça dont parle le film. Pour toutes les victimes, pouvoir porter sa voix pour dénoncer ces travers est quelque chose de très courageux qui n'est jamais sans risque. Risque de perdre son travail, de se mettre des gens à dos, de décevoir, de menaces... risque présent même dans notre milieu d'ailleurs (celui du cinéma).

Dans le dossier de presse du film, vous évoquez votre double culture et le fait qu'elle soit source de mal-être ; pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous ressentez ce sentiment ?

J'ai toujours entendu les gens me dire combien avoir une autre nationalité et origine était une richesse. Mais en quoi ? Dans un monde où on nous demande toujours de manière consciente ou non de choisir un camp. En fonction des événements, de notre interlocuteur, de la politique du moment... on est obligé de choisir ou prendre parti.

Comment se construire et savoir qui l'on est ou qui on a le droit d'être, quand on est pas assez blanc, ou pas assez maghrébin ? On n'a jamais qu'une seule identité ! On est le fruit de plusieurs influences et identités quel que soit notre parcours. Ma quête identitaire fait et fera toujours partie de moi.

Et depuis que j'ai fait ce film encore plus, car je ne me suis jamais autant sentie française alors que je ne me suis jamais autant prise d'insultes racistes et de la haine raciale à la hauteur de "sale bougnoule rentre chez toi !"... tout simplement parce que je suis une femme d'origine marocaine qui fait des films.

Vous évoquez aussi votre court-métrage, Quelques secondes, et le viol dont vous avez été victime à l'âge de 20 ans ; dans quelle mesure pensez-vous que le cinéma a le pouvoir de changer les choses, pour soi d'abord, mais aussi aider à libérer la parole pour les autres femmes victimes d'agressions sexuelles ?

Je pense que l'art peut aider. Je le pense sincèrement. À chaque fin de projection, je reçois des messages privés, ou bien des personnes me prennent en aparté pour me dire qu'elles ont été victimes et que ce film leur fait du bien. D'autres regrettent de ne pas avoir vu le film avant le drame.

J'ai même eu des jeunes hommes qui m'ont dit qu'ils auraient aimé voir le film quand ils avaient 14-15ans. Suite à ces témoignages que j'avais déjà eu après mon court métrage il y a 10 ans de ça, je pense que l'art et plus particulièrement les films peuvent changer, bousculer, éveiller et aider.

L'art et plus particulièrement les films peuvent changer, bousculer, éveiller et aider. Les trois jeunes actrices sont sidérantes d'authenticité, comment on obtient de telles performances sur le plateau avec d'aussi jeunes comédiennes ?

Merci pour elles. Je pense que la bienveillance y est pour beaucoup. J'avais instauré un climat de confiance entre elles et moi. Et il était hors de question qu'elles tournent quelque chose qu'elles pouvaient regretter par la suite ou ne pas être à l'aise avec l'idée de faire certaines scènes. Bien sûr qu'il y a des enjeux quand on tourne un film !

Mais c'est "juste" un film. Et il était hors de question que je dénonce quelque chose qui se passe en coulisses. J'ai donc passé beaucoup de moment avec chacune afin de les connaitre au maximum pour faire ressortir les émotions dont j'avais besoin pendant le tournage. Et on a aussi pas mal répété en amont ! Ça a aidé.

Vous montrez l'influence malsaine des réseaux sociaux avec l'omniprésence des téléphones notamment ; quel est votre rapport personnel aux réseaux sociaux ?

J'ai Instagram depuis cet été, presque contrainte et forcée par mes amis (rires). Et je ne regrette pas car ça me permet d'être en contact avec les personnes qui ont vu le film et qui avaient besoin d'échanger après coup. Mais si j'ai autant tardé et que je n'ai aucun autre réseau, c'est parce que je passe déjà trop d'heures derrière mon écran d'ordi à mon goût !

Et aussi parce que je trouve que les dérives peuvent être malsaines et peuvent m'atteindre personnellement. Je n'ai pas envie de lire la haine ou voir les atrocités qui peuvent être relayées alors je préfère en rester loin.

Le style de votre mise en scène et votre approche très réaliste font écho à Entre les murs de Laurent Cantet ou Bande de filles de Céline Sciamma ; vous aviez ces références en tête pour HLM Pussy ?

J'aime tous ces cinéastes et ces films qui filment le vrai ! Donc oui, ces deux grands artistes sont des références. Tout comme Ken Loach. Je les appelle les génies du vrai !

Et j'aimerais beaucoup que mes films aient l'intensité de leur authenticité. Je pense que c'est comme ça qu'on peut (à notre échelle) changer les choses.

Comment avez-vous travaillé les scènes délicates, comme les agressions de Zak envers Zineb ?

J'ai filmé secondes après secondes ce qu'ils étaient capables de me donner, et ce, en équipe réduite. Ça a été plus compliqué pour Salma Takaline de tourner certaines scènes. Et tous les trois, on s'est réunis pour savoir ce qu'il était possible de faire.

Comme de la couture, fil après fil, j'ai filmé avec mon chef-opérateur Maxence Lemonnier. Je montrais un geste, l'un après l'autre à Salma. Si elle me disait ok pour le refaire, on filmait. Puis on coupait, et je recommençais.

Tout n'a pas pu être tourné. Du coup, le montage s'est avéré être un vrai challenge pour ressentir ce que je n'avais pas en rushes. Mais ça m'a permis de me dépasser et je préfère les scènes ainsi, que si tout avait été filmé de manière protocolaire.

Autour du drame de l'agression et de l'atmosphère violente dans laquelle ces jeunes filles baignent, vous avez injecté des respirations comiques ; en quoi est-ce important selon vous d'inclure des moments légers au milieu du drame ?

Je voulais des moments de légèreté pour respirer entre les moments difficiles. Et puis cela fait aussi partie de leur insouciance.

Plus généralement, quelle cinéphile êtes-vous ? Quels sont vos goûts cinématographiques, séries tv ?

J'aime les films et série avec un message. Il m'arrive rarement de regarder des films/séries par simple divertissement. J'aime quand il y a une morale ou que ça fait réfléchir.

J'adore les twist dans les scénarios et crier un "mais noooooon !" tout haut ! Mais clairement je peux passer d'une histoire d'amour à un film d'horreur ! J'aimerais d'ailleurs écrire un film dans chacun des genres.

Avez-vous un nouveau projet en tête après HLM Pussy ?

Oui, un film d'horreur ! J'adore ça et j'aimerai me prêter au genre même si c'est loin de l'univers de HLM Pussy. Mais bien sûr avec une morale ou un message en sous texte !

publié le 5 mars, Vincent Formica, Allociné

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