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"J'ai dû subir pendant des mois son sale caractère et son appât du gain" : cette légende de la littérature a fait vivre un enfer au réalisateur du Nom de la Rose

© CEDRIC PERRIN / BESTIMAGE

Jean-Jacques Annaud ne rechigne jamais à se plonger dans ses souvenirs de tournage. Bons ou mauvais. Et avec franchise. Comme l'enfer qu'il a vécu en travaillant avec l'auteure de "L'Amant", Marguerite Duras...

Lorsque Jean-Jacques Annaud se met à table pour égrener avec gourmandise ses souvenirs de tournage au gré d'une grande filmographie, c'est la garantie absolue pour les lecteurs et l'auditoire d'une séquence passionnante. C'était déjà le cas l'an dernier, avec la masterclass qu'il avait donné lors du festival Lumière à Lyon, en marge de la présentation en copie restaurée de son chef-d'oeuvre Le Nom de la Rose.

Et c'est à nouveau le cas dans l'entretien fleuve qu'il a accordé ce mois-ci aux journalistes du magazine Les Années Laser. Dans un échange marathon de près de 8h (!), toujours volubile et évidemment passionné, Annaud livre ses anecdotes, précises comme au premier jour. D'une grande franchise aussi, sans filtre. Ou si peu. Et souvent drôles.

Comme les coulisses derrière la création de son film L'Amant, sorti en 1992 sur nos écrans. Cinquième plus gros succès pour le réalisateur au box office français, le film avait attiré plus de 3,15 millions de spectateurs; juste derrière les 3,33 millions de spectateurs séduits par Deux frères, sorti 12 ans plus tard.

"j'ai dû subir pendant des mois son sale caractère"

Ironiquement, Claude Berri, le producteur du film, lui avait initialement proposé de réaliser l'adaptation de la Condition humaine d'André Malraux, tandis qu'il avait confié à Michael Cimino le soin d'adapter L'Amant de Marguerite Duras, prix Goncourt pour cette oeuvre en 1984. Peu satisfaits l'un et l'autre, ils échangent finalement leurs projets.

Dans un premier temps, Annaud refuse la proposition. "D'après ce que je savais de la personnalité de Marguerite Duras, il n'était pas question que je travaille avec cette emmerdeuse. [...]". Dans la foulée de leur échange de projets, Cimino explique à Annaud que la romancière est au plus mal, hospitalisée, et qu'elle semble être condamnée.

"Ce n'est pas très glorieux de ma part, mais j'ai aussitôt pensé : "bon, si elle n'est plus là, au moins je serai tranquille" lâche Annaud, qui commence alors à travailler sur l'adaptation avec son scénariste Gérard Brach.

"Contre toute attente, Marguerite Duras s'est complètement rétablie" enchaîne Annaud. "Au fil d'innombrables réunions dans son appartement, j'ai donc dû subir pendant des mois son sale caractère, sa méconnaissance totale de ce qu'était une adaptation, ses exigences absurdes, son appât du gain, son obsession de voir son livre reproduit mot pour mot, son exigence de respecter à la lettre les 20 pages épouvantables qu'elle avait écrites en guise de scénario, et son refus systématique de tout ce que je proposais".

Une robe miteuse pour Isabelle Adjani

Annaud atténue très (très) sensiblement le portrait pas franchement flatteur de l'auteure, expliquant quand même "qu'il y a eu quelques moments merveilleux car elle était très drôle". Mais enfonce presque aussitôt le clou : "entre sa volonté d'avoir Isabelle Adjani dans le rôle principal, de faire porter la robe miteuse qu'elle avait acheté pour l'héroïne et de tourner le film sur la Marne au lieu du Mékong, ca été une expérience très pénible".

Marguerite Duras a lâché l'affaire "après s'être fait payer "un droit moral" inventé de toutes pièces pour que je puisse faire ce que je voulais" conclue Annaud. C'est ainsi qu'il révéla aux spectateurs une nouvelle actrice dont c'était le tout premier film : Jane March.

Malheureusement, la carrière de la comédienne fut plombée dès son second film, le thriller érotico-nanardesque Color of Night, sorti deux ans plus tard à peine, dont elle n'a jamais pu se remettre.

publié le 22 mai, Olivier Pallaruelo, Allociné

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