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"Un emblème qui permet d'aller au cœur de la masculinité" : comment a été écrite la nouvelle série Netflix, sans glorification de la star X

C'est la nouvelle série biopic Netflix. La scénariste Francesca Manieri revisite la vie et l'œuvre de l'une des plus grandes stars de films pour adultes. Avec une approche très claire du sujet.

Tout oppose Rocco Siffredi et Francesca Manieri. Le premier est un acteur porno mondialement reconnu depuis quarante ans, la seconde, une scénariste féministe et engagée. Jusqu'à maintenant, l'autrice italienne avait écrit sur des sujets qui lui tiennent à cœur.

Elle explore les tribulations de l'adolescence dans la série We Are Who We Are de Luca Guadagnino (Call Me by Your Name) et la question de la transidentité dans une famille italienne des années soixante-dix dans L'Immensita avec Penélope Cruz.

Voir son nom associé à Supersex, série qui retrace la vie et le parcours du "hardeur du siècle", suscite forcément la surprise. Pour AlloCiné, la scénariste et créatrice explique comment et pourquoi elle a accepté de relever ce défi risqué.

AlloCiné : Quand Netflix est venu vous chercher pour écrire une série sur Rocco Siffredi, vous avez, je vous cite, "éclaté de rire". Vos vies et vos convictions n'ont rien en commun. Est-ce plus difficile pour un auteur d'écrire sur un sujet opposé de lui-même ou, au contraire, est-ce libérateur ?

Francesca Manieri, scénariste et créatrice de la série : C'est beaucoup plus libérateur ! Lorsque j'ai commencé à travailler sur ce projet, je disais le contraire, mais maintenant, je suis sûre que cela permet de se libérer et d'ouvrir des frontières. Je suis donc très reconnaissante d'avoir pris part à ce projet.

Quel élément de la vie de Rocco Siffredi vous a accroché ou inspiré au point de vous lancer dans l'écriture ?

Il y a deux réponses. La première est beaucoup plus conceptuelle. La seconde, je le sais, est beaucoup ancrée dans le réel. La première est peut-être que, comme je le dis toujours, Rocco représente l'excès et non l'exception de la masculinité. Il représente un emblème qui me permet d'aller au cœur de la masculinité.

Si vous avez vu d'autres œuvres que j'ai écrites auparavant, j'ai toujours travaillé sur la question du genre. Je me suis dit que, cette fois, je ne voulais pas parler de féminité mais de masculinité. C'était donc un défi, et je l'ai relevé, et c'était intéressant pour moi.

Deuxièmement, lorsque vous écrivez, vous avez besoin de quelque chose qui peut, comme vous l'avez dit, vous accrocher. J'ai l'habitude de construire des images dans mon esprit et je savais dès le départ que trois ou quatre scènes seraient ma lumière pendant toute la période d'écriture.

La première était la mort de Claudio, son frère, et le lien qu'il faisait entre la montée de sa pulsion sexuelle et le décès de ce jeune garçon. La deuxième était quand sa mère lui jette enfin ce regard précieux qu'il désire tant. Et la troisième est, sans spoiler, la scène du cimetière.

Ces scènes ont été, pour moi, mes témoins oculaires. En travaillant sur ces images, j'ai commencé à réaliser toutes les couches qui se cachent derrière, à savoir le lien entre le pouvoir de la sexualité et la douleur, l'influence de sa mère et l'impossible relation entre le regard de l'autre et le sien.

Je voulais tout savoir sur lui, mais pas le rencontrer parce qu'il aurait été difficile de garder toute ma liberté. Comment se sont déroulées vos recherches ?

J'ai regardé tous ses films ! Et j'ai lu tout ce que j'ai pu. Et il y a eu beaucoup d'interviews. J'ai étudié beaucoup de documents et j'ai élaboré l'idée principale de la série. Lorsque j'ai eu cette idée, j'ai décidé de le rencontrer et de parler beaucoup avec lui mais seulement lorsque j'étais sûre du chemin que j'allais prendre. Je ne voulais pas le rencontrer avant. Je voulais tout savoir sur lui, mais pas le rencontrer parce qu'il aurait été difficile de garder toute ma liberté.

Quel souvenir gardez-vous de votre rencontre avec lui ? Y a-t-il eu des désaccords entre vous ?

C'était difficile au début. Difficile mais fort. Nous nous ressemblons parce que nous sommes tous les deux des personnes très honnêtes. Nous étions donc nus avec nos différences. Et si vous acceptez de faire face à la différence de l'autre et d'entrer en conflit avec lui, de ne pas fuir ce conflit, quelque chose va se produire. Et c'est ce qui s'est passé. Nous avons donc accepté d'entrer en conflit pour commencer à entrer dans son histoire.

Je partage avec lui la conviction que la sexualité est quelque chose d'indomptable. Aviez-vous des idées préconçues ? Et certaines de ces idées ont-elles changé suite à vos échanges ?

Étrangement, je n'en avais pas. Peut-être parce que je suis une autrice et que j'essaie de ne pas avoir d'à priori sur une personne. J'avais une idée de cette icône, peut-être, mais je n'avais pas vraiment d'avis sur Rocco.

Mais quand je l'ai rencontré, j'ai réalisé le pouvoir de la construction sociale sur nous, nous tous, et aussi le pouvoir indomptable de la sexualité. Je partage avec lui la conviction que la sexualité est quelque chose d'indomptable. Bien sûr, je me suis rendu compte en le rencontrant qu'il est beaucoup plus libre dans sa vision de la sexualité que ce que nous sommes censés penser.

Dans le premier épisode, il est, enfant, victime d'une agression sexuelle par plusieurs garçons de son quartier. La série montre qu'avant de participer à un système de domination par le sexe, il en a été la première victime.

Exactement. Et la scène après celle-ci est, à mon avis, pour moi, en tant qu'écrivain, l'une des plus importantes, parce que son frère lui dira : "Maintenant, tu as la plus grande bite du monde." Il s'agit d'un acte mythopoïétique. La question n'est pas de savoir si ce que dit son frère est vrai ou non. Cette histoire de bite, c'est une construction et cette construction repose sur un contexte difficile dans lequel il s'est construit.

En France, Rocco Siffredi est très célèbre mais il est aussi critiqué pour certains de ses comportements envers les femmes. Que diriez-vous à celles et ceux qui estiment que Netflix glorifie la figure de Rocco à travers cette série ?

Si vous avez vu la série, vous constatez qu'il n'y a pas de glorification. Il y a une problématisation d'un emblème. J'entends le point de vue de ces femmes qui parlent et dénoncent car mon point de vue est similaire. Mais ce n'est pas en évitant un sujet que l'on peut faire un pas en avant. La raison pour laquelle j'ai décidé de raconter l'histoire de Rocco Siffredi est exactement celle-ci.

Entrons dans le vif du sujet. Entrons dans la masculinité. Nous avons besoin de cette série pour comprendre, peut-être pour parler, pour poser des questions sur la masculinité et la féminité. C'est la raison pour laquelle cette série, ici et maintenant, est importante pour moi. Parler des choses, ne pas éviter le sujet, ne pas être idéologique. Aller au fond des choses. Parce que le paradigme est en train de changer.

Il ne peut changer que si nous avons la capacité d'entrer dans le mécanisme qui a permis à Rocco Tano de devenir Rocco Siffredi. Ce n'est qu'en montrant la construction de la masculinité que nous pourrons la déconstruire. Nous devons donc nous pencher sur la question.

Propos recueillis par Thomas Desroches, à Paris, le 04 mars 2024.

Supersex est disponible sur Netflix.

publié le 8 mars, Thomas Desroches, Allociné

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