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John Carpenter : ce film aurait pu être la nouvelle pépite du réalisateur de The Thing, mais la sanction du box-office a été impitoyable

John Carpenter est malheureusement connu pour avoir une impressionnante liste de projets qui ne sont jamais arrivés à terme. Parmi eux, un projet de remake de "La créature du lac noir", le classique de 1954, qui faisait sacrément envie...

Depuis quelques années maintenant, John Carpenter a pris l'habitude de voir défiler sur le pas de sa porte les producteurs, venus tenter de le convaincre du bien fondé de Remakes / Prequel de certaines de ses (chefs d') oeuvres.

Un défilé qui devient du reste aussi nourri que celui devant la porte de son confrère Paul Verhoeven, qui est quant à lui littéralement pillé. En 2005, Assaut sur le central 13 donnait le coup d'envoi des remakes de la filmographie de Carpenter. Et le flot ne s'est pas arrêté, loin s'en faut.

Cela dit, on pourra toujours objecter en disant que Big John a lui-même pratiqué l'art du remake avec The Thing, remake de la Chose d'un autre monde d'Howard Hawks, ainsi que Le Village des damnés, remake d'un classique de 1960 signé Wolf Rilla.

Carpenter est malheureusement aussi connu pour avoir une impressionnante liste de projets qui ne sont jamais arrivés à terme, au-delà de la pré production, même si certains d'entre eux ont pu aboutir sans lui. La liste est tellement longue qu'il y a même une page Wikipedia consacrée à ses projets inaboutis.

Parmi eux, un projet de remake de ce qui aurait pu devenir une nouvelle pépite du Master of Horror : une nouvelle version de l'un des films de monstres de la Universal, L'étrange créature du lac noir.

Un air de loup-garou

Réalisé par Jack Arnold, l'un des meilleurs artisans de l'après-guerre spécialisé dans des films de série B qui deviendront des classiques, L'étrange créature du lac noir est probablement son film le plus célèbre.

Il relate les (més)aventures d'une équipe de scientifiques enquêtant, au coeur de l'Amazonie, sur des restes fossilisés d'une étrange créature hybride homme-poisson, qui pourrait bien bouleverser toutes les certitudes sur la théorie de l'évolution des espèces chère à Darwin...

Le film fut un succès considérable pour Universal lors de sa sortie au début de 1954, qui capitalisera sur son succès avec trois suites. Si la Major a perdu entre temps les droits sur le personnage de Dracula, permettant ainsi à d'autres studios de faire leurs propres versions, la créature du lac noir est toujours restée dans le giron du studio, qui caressait alors, au début des années 80, d'en faire un remake.

Le projet est né en 1982, à l'époque même où Carpenter lâchait dans les salles obscures The Thing. Mais le studio songea d'abord à confier les rênes à John Landis, qui surfait sur la vague du succès de son Loup-garou de Londres.

Vénérant le film d'origine, Landis voulait faire monter à bord le réalisateur du film original, Jack Arnold. Epaulé par le scénariste Nigel Kneale, il voulait aussi impliquer non pas une mais deux créatures, et adapter son film pour la 3D. Universal mis son veto, ayant déjà sur les rails ses Dents de la mer 3 en 3D. Landis quittant le projet, le studio envisagea ensuite de le confier à Joe Dante.

Une créature lovecraftienne ? Big John est pour !

Puis arriva John Carpenter, en 1992. C'est dire, déjà, la longueur de la gestation du projet. Comme le cinéaste l'expliqua à cette époque dans une interview publiée dans un magazine, Starlog, il envisageait de faire une version plus moderne du récit, en combinant différents éléments.

"L'une implique que la créature soit le chaînon manquant entre l'homme et le poisson. Il serait intéressant de combiner cela avec les créationnistes, qui tentent de prouver que l'homme marchait avec les dinosaures il y a 10.000 ans. Ils tentent de prouver l'origine littérale et biblique de la vie - en totale contradiction avec les faits scientifiques" expliquait-t-il.

Ajoutant : "j'aimerai aussi avoir un esprit lovecraftien pour ce film, je pense ici au cauchemar d'Innsmouth, où les poissons fusionnent avec les humains. [...] Et puis il y a aussi des légendes à propos de pyramides qui seraient encore cachées au coeur de l'Amazonie. Je voudrais aussi évoquer ça".

Une légende oscarisée et le scénariste de Christine en action

Pour ficeler le tout, il fait appel à un scénariste qu'il connait bien, Bill Phillips, qui signa le script de son film Christine, un des plus gros succès (et rares...) du réalisateur au Box Office. Il fait également monter à bord une légende absolue des maquillages, Rick Baker, à l'époque déjà auréolé de deux Oscars.

Phillips et Baker travaillèrent de concert sur ce projet pendant que Carpenter réalisait son nouveau film, Les Aventures d'un homme invisible. "[Mon design] était en grande partie basé sur un amour pour le matériau original et sur le fait d'essayer de rester fidèle à cela à bien des égards. Je pense que nous avions une créature qui avait été modernisée, mais on pouvait toujours savoir d'où elle venait" racontait Baker dans un entretien avec le site Ain't it Cool News, en 2012.

Un homme invisible scelle le destin de la créature

La sortie des Aventures d'un homme invisible fut un désastre absolu : le film ne ramassa que 14,4 millions $ au box-office. Loin, très loin de couvrir les 40 millions $ de budget. Côté coulisses, le tournage fut un enfer. Le scénariste du film, William Goldman, racontera que le film était initialement prévu pour être réalisé par Ivan Reitman. Mais la mésentente avec son acteur principal, Chevy Chase, fut telle, que Reitman fut éjecté pour être remplacé par Carpenter.

L'expérience fut si douloureuse pour Big John qu'il envisagea carrément d'arrêter le cinéma après, comme il l'a raconté en janvier 2023 dans une longue interview publiée par Variety : "Ce n'était pas agréable du tout, je ne vais pas mentir. C'était un spectacle d'horreur. Je voulais vraiment quitter le business après ce film".

Une double peine pour Carpenter. Déjà la douleur d'être durement sanctionné au box-office, une fois de plus. Mais aussi parce que devant le désastre du film, qui était aussi une version modernisée de son classique Homme invisible, Universal fut nettement moins enthousiaste sur l'approche de Carpenter pour le futur remake de la créature du lac noir.

Sans jamais officiellement dire pourquoi, la Major débrancha le projet pour le ranger au fond d'un tiroir. Il a cependant refait surface à quelques occasions, notamment à l'époque de l'engouement autour de la Momie avec Brendan Fraser.

Mais aussi, brièvement, lorsque Universal tentera de mettre sur pied un Dark Universe qui sera tué dans l'oeuf après l'échec de La Momie version Tom Cruise. Si La Forme de l'eau de Guillermo del Toro était un hommage évident à la fameuse créature du lac noir, le film n'était pas un remake pour autant.

Pour l'heure, la créature est bien partie pour rester au fond du lac encore quelques années, tandis que Big John, lui, continue bon gré mal gré sa carrière, entre la production de nouvelles itérations autour d'Halloween, une série horrifique, et une carrière musicale. Mais, à 76 ans, il n'a plus l'envie, ni l'énergie, de ferrailler autant qu'à l'époque, sur des projets au devenir plus qu'incertain.

publié le 18 mars, Olivier Pallaruelo, Allociné

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