Nicolas Missoffe et Raphaël Cioffi : "'Drag Race France' montre comment la télévision devrait parler des sujets LGBTQIA+"
Teaser de "Drag Race France" saison 2 © Jean RANOBRAC - FTV
Le concours de drag queens de France Télévisions est de retour ce vendredi 30 juin pour une deuxième saison. Rencontre avec les producteurs de l'émission.
"Et surtout ne merdez pas". Après une première édition couronnée de succès, le défi est de taille pour France Télévisions, Endemol France et Shake Shake Shake. Faire aussi bien voir mieux avec la saison 2 de "Drag Race France" qui débarque ce vendredi 30 juin 2023 sur les écrans de France Télévisions (à 18h sur France.tv et à 23h sur France 2. Succès surprise de la télévision l'été dernier, cette compétition de drag queens imaginée par RuPaul aux Etats-unis en 2009 est de retour avec onze nouvelles queens prêtes à tout pour décrocher la couronne. Nicolas Missoffe (Endemol) et Raphaël Cioffi (Shake Shake Shake), les producteurs de "Drag Race France" ont accepté de livrer quelques secrets de fabrications de l'émission à puremedias.com.
Propos recueillis par Benjamin Rabier
puremédias : Comment avez-vous imaginé la deuxième saison de "Drag Race France" après l'engouement suscité par la première édition ?Nicolas Missoffe : C'était vertigineux. On a été tellement heureux de la folie qui a entouré la saison 1, des messages qu'on a réussi à faire passer, de la façon dont le grand public a reçu l'émission qu'on s'est dit qu'il fallait faire aussi bien. Pour cela on a poussé le curseur encore plus loin, injecté pas mal de surprises tout en gardant l'ADN de l'émission. On ne voulait pas que la saison 2 soit un copier-coller de la saison 1.Raphaël Cioffi : Sur "Drag Race France", on a eu une vision et une conviction assez forte dès le départ. Ce qui est cool avec le succès de la saison 1 c'est que ça a confirmé que notre vision était 'la bonne', que le public y a adhéré. Éditorialement, si je devais résumer la saison 2 en quelques mots, je dirais : rendez-vous cultes de la version originale et énormément de créations notamment pour les mini-défis.
Comment vous sont venues les idées des nouveaux mini-défis ?Raphaël Cioffi : Personnellement, je n'ai pas une boîte à idées. Elles ne se déclenchent pas quand France 2 nous donne le go pour la saison 2. Là, j'ai déjà des fichiers sur mon ordinateur intitulés "Drag Race France saison 4" avec des idées dedans. La saison 3 est déjà bien avancée dans ma tête. "Drag Race", entre le casting, le tournage, la diffusion et la tournée, ça dure un an. On est tellement tout le temps le nez dedans donc c'est une boite à idées permanente.
"On est le seul pays au monde où on a eu le droit de changer le logo de l'émission"- Nicolas MissoffeLors de l'arrivée de "Drag Race" en France à l'été 2022, Nicolas vous aviez parlé "d'une bible de plus de cent pages de préconisations techniques et artistiques" venant des ayants droits du format. Avez-vous réussi à vous en détacher cette année ?Raphaël Cioffi : Je ne me souviens pas qu'elle faisait 100 pages (rires). La "Bible" c'est vraiment un partage de savoir-faire, pas des obligations. Je n'ai pas la sensation de dessiner mon rond dans un carré. Parfois, je suis même surpris de voir à quel point ils ne sont pas interventionnistes.Nicolas Missoffe : La "bible" est vraiment une indication sur l'encadrement global de l'émission, sur la structure du show : tu dois avoir un atelier (workroom), la fin de ton émission doit toujours se terminer par un Lip Sync Battles... C'est la base du format. Après, nous, on a eu la chance de s'entendre extrêmement bien avec les ayants droits World of Wonder. Ils nous ont laissé faire beaucoup de choses sur la saison 1. Par exemple, on est le seul pays au monde où on a eu le droit de changer le logo de l'émission pour y mettre notre Tour Eiffel, on a une workroom qui fait penser au Château de Versailles avec des moulures. On a une liberté de ton et de mettre le curseur où on veut.
En quoi la version de "Drag Race France" se démarque-t-elle vraiment des autres ?Raphaël Cioffi : Notre brief de base c'était de se dire que lorsque les téléspectateurs arrivent sur l'émission ils savent instantanément qu'ils sont sur 'Drag Race France'. Ça passe par des éléments visuels. La culture française imprègne tout. Elle est présente dans tous nos défis. On n'est pas dans une copie, ni dans une contrefaçon de 'Drag Race US'. On a beaucoup parlé avec Nicky Doll pour créer un vocabulaire français par exemple.Nicolas Missoffe : On le voit bien avec ces phrases adoptées par le public. "Je dis oui, je dis verge" est devenue une phrase iconique de 'Drag Race France' qui n'existe dans aucun autre pays.Raphaël Cioffi : Et puis, le drag français n'est pas comme le drag américain. En France, on a un héritage cabaret. Du coup on a une personnalité différente. Ce n'est pas la même chose.
L'émission s'appuie également sur des invités de prestige. Après le succès de la saison 1, ils ont dû tous se bousculer. Vous en avez refusé ?Nicolas Missoffe : L'idée ce n'est pas de refuser mais plutôt de trouver de la place pour tout le monde. L'idée c'est qu'on puisse se projeter. Si on a trop de "guest mode" sur l'ensemble de la saison, on va en garder certains pour l'année prochaine par exemple.Raphaël Cioffi : On a la chance d'avoir des guests incroyables en France. 'Drag Race US' ils ont les boules de voir nos invités car il y'en a vraiment qu'ils aimeraient voir chez eux. Aujourd'hui, il y a vraiment des stars françaises qui ont un rayonnement international. Jean-Paul Gauthier, Olivier Rousteing, Chantal Thomas, ce sont des noms tellement importants dans le milieu de la mode aujourd'hui. Qu'ils acceptent de venir dans "Drag Race France" c'est une fierté.
"On a imposé à France Télévisions qu'il y ait des stars de notre communauté aussi"- Raphaël Cioffi :Sur quels critères choisissez-vous les invités ?Raphaël Cioffi : Le critère principal c'est la diversité. Que ce soit en représentation d'identité ou de genre, de domaines, c'est la même rigueur pour les guests que pour le casting. On a imposé qu'il y ait des stars de notre communauté aussi. On pensait qu'on allait se battre avec France télévisions mais ils l'ont compris très vite. C'est très tentant de ne prendre que des A-List, mais on voulait des gens de notre communauté (Raya Martini, Nicolas Huchard), des personnalités que nos parents ne connaissent pas mais qui sont des marqueurs de nos communautés. On a gardé ça en saison 2 aussi. Si nous on ne les invite pas, si nous on ne les met pas en lumière, qui le fera à la télé ?"Drag Race France" est diffusé sur France 2. Est-ce que cela a pu être un frein pour aborder certains sujets ?Nicolas Missoffe : Pas du tout. On travaille main dans la main avec Alexandra Redde-Amiel et ses équipes. Ils nous soutiennent à 1 milliard de %. On a des discussions éditoriales mais ils ne nous ont jamais interdit quoi que ce soit. Vraiment.Raphaël Cioffi : C'est rare dans ce métier de parler avec des personnes qui sont dans l'humilité. Ils pourraient être dans un rapport de force avec nous mais pas du tout. Ils ont cette humilité de savoir qu'on a les compétences pour faire cette émission. Beaucoup de boites de production voulaient "Drag Race" mais France Télévisions et Endemol ont compris que c'était une émission pour les personnes queer à vocation universelle, qui est fabriquée pour plaire à tout le monde. France Télévisions l'a très bien compris et même poussé.
"Il y a trop de débats à la télé qui ne sont pas des débats mais qui sont des combats"- Raphaël CioffiL'émission aborde des thématiques de société qu'on voit très peu à la télévision. Comment les choisissez-vous ?Nicolas Missoffe : Pour le coup, les discussions entre les Queens ce n'est pas du tout produit. Elles parlent de ce qu'elles veulent. De leur histoire mais pas forcément, c'est elles qui choisissent. C'est quand même assez incroyable de pouvoir mettre la lumière sur des histoires, sur des personnes qui habituellement n'ont jamais la possibilité de s'exprimer. On le sait, faire un coming-out c'est compliqué, parler de sa transidentité sans avoir peur, c'est compliqué. Réussir à mettre sur le service public, des histoires de personnes queer qui n'ont jamais la parole, c'est une fierté immense.Raphaël Cioffi : Pour moi c'est plus qu'une fierté. J'ai l'impression que tout ce que j'ai fait dans ma vie m'a amené à cette émission. 'Drag Race France' montre comment la télévision devrait parler des sujets LGBTQIA+. Il y a trop de débats à la télé qui ne sont pas des débats mais qui sont des combats. Des gens qui sont d'accord ou pas avec qui tu es, ce n'est pas un débat. On ne devrait pas les mettre dans des positions de justification. C'est comme cela que la télévision traite de ces sujets aujourd'hui. "Drag Race" vient remettre le curseur au bon endroit. Des gens qui ne sont pas comme nous, nous parlent d'eux et c'est tout. Montrer aussi que ça peut être simple, que ça peut bien se passer, c'est important pour nous.
Cette saison 2 repose sur 11 nouvelles Queens. Sur quels critères les avez-vous choisies ?Nicolas Missoffe : C'est le même process que sur une émission de télévision classique. On fait un appel à casting, on reçoit des dossiers, on leur demande des vidéos, elles font des screens. On est sur un format classique de casting mais avec des personnages extraordinaires. C'est à nous de nous projeter. Ça reste un petit milieu, elles se connaissent souvent donc on discute beaucoup de l'homogénéité du casting "est-ce que c'est une bonne idée qu'elles soient dans la même saison, etc". Il faut aussi des queens moins connues. C'est un mix comme dans toutes les émissions. Ce que je peux vous dire c'est qu'elles sont aussi exceptionnelles que celles de la saison 1. Elles ont des histoires différentes, elles ont autre chose à raconter mais elles sont un panel de l'art du drag.Raphaël Cioffi : Ce n'est pas non plus une remise de prix. Celles qui pensent que parce qu'historiquement elles sont connues, elles doivent être dans Drag Race, bah non. Etre une très bonne drag queen et faire une émission de télé c'est quand même deux choses différentes.
Les candidates sont-elles rémunérées ?Nicolas Missoffe : Elles sont payées pour participer à l'émission comme les candidats de n'importe quelle émission de télé.Raphaël Cioffi : Il y a une espèce de fantasme, on confond travail et hobbie. Elles se battent pour être reconnues. Payer des gens c'est aussi respecter leur travail. Une drag ça se paye car c'est un travail et en plus ça leur coûte de l'argent de se produire sur scène. On attend d'elles qu'elles soient des créatures flamboyantes mais tout cela à un coût. Rien que le maquillage, ça coûte une fortune. Rien qu'en arrivant à un show drag, elles sont en déficit. Du coup, ce n'est pas à elles de payer pour enjailler des gens. Tu veux une drag queen, tu payes.
Quel a été l'impact de l'émission sur la scène drag en France ?Raphaël Cioffi : Il a été monumental. Ça a vraiment créé une économie. Elle existait déjà mais 'Drag Race France' l'a mise en lumière. Il y a eu des taux de remplissage historique pour les shows un peu partout en France. C'est une grande fierté pour nous.
publié le 30 juin, Benjamin Rabier, Puremédias