"Avec "Anthracite" on a vraiment voulu écrire un thriller pour une plateforme" : Fanny Robert et Maxime Berthemy, créateurs de la nouvelle série française de Netflix, se confient
Fanny Robert et Maxime Berthemy créateurs de la série "Anthracite" avec Camille Lou et Hatik sur Netflix © Netflix
Netflix met en ligne ce 10 avril sa nouvelle création française, la série "Anthracite". Les créateurs de ce thriller ont répondu aux questions de Puremédias.
"Anthracite : le mystère de la secte des Ecrins", la nouvelle série française de Netflix, avec Camille Lou, Hatik ou encore Noémie Schmidt, sort ce 10 avril sur la plateforme. Les deux créateurs de ce thriller, Fanny Robert (à l'origine de "Profilage") et Maxime Berthemy (qui a également oeuvré pour la série policière de TF1 avec Odile Vuillemin) ont répondu aux questions de Puremédias sur cette série et leur carrière.
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Propos recueillis par Laura Bruneau.
Puremédias.com : Quelle est la genèse de la série "Anthracite" ?Maxime Berthemy : Avec Fanny, on collabore depuis dix ans. On commençait à avoir envie de créer une série ensemble. La première idée qui nous est venue, c'est le web sleuthing (comprendre résoudre des enquêtes et des faits divers grâce au web et aux réseaux sociaux). Ça nous intéressait, on s'est renseigné sur le sujet. Je crois que c'était ça, la graine d' "Anthracite" au départ. Assez rapidement, on s'est dit : "qui dit web sleuthing, dit fait-divers". On a réfléchi à un fait-divers qui nous a marqué tous les deux. On s'est mis à parler de secte, de suicide collectif. C'est par ces deux biais-là qu'on a commencé à créer "Anthracite" : le web sleuthing et l'univers des sectes.
Qu'est-ce qui vous a plu dans le web sleuthing pour que vous en fassiez une série ?Fanny Robert : Avec Maxime, on adore les faits divers. On aime réfléchir à la façon dont ils sont traités. Ce qui nous a beaucoup intéressé, c'est la façon dont Netflix a recréé le true crime. Ça a été un fil directeur de notre réflexion. On en consomme beaucoup, on s'est rendu compte qu'il y avait ces communautés de web sleuthers qui existent sur tous les faits divers. Des gens s'intéressent à un fait divers et mettent en commun des photos, des vidéos, des réflexions, des hypothèses sur absolument tous les faits divers imaginables. Ça nous a passionnés. Certains arrivent à craquer des vrais cases, d'autres arrivent même à embrouiller la police et à créer des drames parce qu'ils ne sont pas enquêteurs.
Ce qui nous a beaucoup intéressé, c'est la façon dont Netflix a recréé le true crime.- Fanny Robert ("Anthracite")Vous évoquez les true crimes sur Netflix. Dans votre réflexion, d'emblée "Anthracite" était une série pour Netflix ?Maxime Berthemy : Immédiatement, ce projet-là était destiné à Netflix parce qu'on avait déjà eu des contacts avec eux dans notre vie professionnelle, sans jamais travailler pour eux. On cherchait un projet à leur proposer spécifiquement et on a écrit "Anthracite" dans l'idée que c'était pour Netflix. On a eu la chance que ça leur plaise.
Travailler pour une plateforme, alors qu'auparavant vous avez travaillé pour la télé, qu'est-ce que ça a changé pour vous ?Fanny Robert : Le mode de consommation n'est pas le même. Là, on est sur une consommation de type binge-watching, en tous cas on l'espère, et forcément ça créé une dynamique un petit peu différente quand on écrit, la façon dont on construit notre trame, où on place les cliffhangers (rebondissement en français)... Ce genre de réflexions nous a habité pendant l'écriture.Maxime Berthemy : Ça a été une vraie recherche ludique pour nous de trouver comment adapter notre écriture à un mode de consommation différent, quand tous les épisodes sont disponibles d'un coup.
Avez-vous dû adapter d'autres éléments à cette consommation davantage binge que linéaire ?Fanny Robert : C'est sûr qu'on s'est vraiment posé la question de ce que ça voulait dire écrire un thriller pour une plateforme, comment créer quelque chose de différent de ce qu'on a fait auparavant. La base de notre réflexion ça a été ça : c'est quoi un thriller pour une plateforme ?
Ça a été une vraie recherche ludique pour nous de trouver comment adapter notre écriture à un mode de consommation différent, quand tous les épisodes sont disponibles d'un coup.- Maxime Berthemy ("Anthracite")Et donc, c'est quoi un thriller pour une plateforme ?Maxime Berthemy : On a une réponse qui est la nôtre, qui est celle qui correspond à "Anthracite", qui n'est pas forcément une formule. Chaque série réinvente un peu la route, c'est ce qu'on a essayé de faire, adapter notre écriture, nos obsessions, à Netflix. Ça n'a pas été nous dans notre coin à travailler, à inventer cette série. À partir du moment où on avait écrit 2 ou 3 pages de présentation de la série, on les a présentées à Netflix, ça leur a plu immédiatement et, dès lors, ils nous ont accompagnés dans chaque étape d'écriture. Ils ont été des vrais partenaires pour nous guider, pour faire des retours toujours pertinents. On a eu une relation assez exceptionnelle avec Netflix. C'est aussi grâce à la manière dont ils nous ont guidés qu'on est arrivé à ce résultat. Un des aspects de la série, qui me semble spécifique à Netflix et au streaming, c'est son côté un peu grand huit. J'ai l'impression que, en termes de rythme, en terme de densité d'histoire, il y a beaucoup de choses qui se passent dans la série. On avait vraiment envie d'emmener le spectateur sur un grand huit, c'est à dire qu'une fois qu'il s'installe, qu'il n'ait pas du tout envie de décrocher, que ce soit excitant, effrayant et drôle.Fanny Robert : Tout en haut des montagnes et tout en bas des mines, c'était notre ligne directrice.
Travailler pour une plateforme, par rapport à une chaîne de télé, est-ce que ça vous apporte plus de liberté éditoriale, plus de budget ?Fanny Robert : Je ne sais pas si c'est pertinent de penser comme ça aujourd'hui dans le sens où plus on avance, plus les chaînes hertziennes se dotent chacune de leur plateforme. En l'occurrence, on a eu une très grande liberté de création, et on a eu le budget adéquat pour pouvoir nous exprimer de la façon dont on voulait dans cette série.Il y a aussi beaucoup d'autres projets très ambitieux qui se font aujourd'hui et pas forcément sur des plateformes. Je pense que tout ça c'est une évolution saine du marché. J'ai l'impression que la plateforme est venue mettre un petit coup de pied dans la fourmilière et que ça a fait évoluer tout le monde vers le haut.
On avait vraiment envie d'emmener le spectateur sur un grand huit, c'est à dire qu'une fois qu'il s'installe, qu'il n'ait pas du tout envie de décrocher, que ce soit excitant, effrayant et drôle.- Maxime Berthemy ("Anthracite")Fanny, vous êtes entourée ici, comme souvent, de personnes avec qui vous collaborez régulièrement. C'est une nécessité pour vous d'avoir une équipe fidèle autour de vous ?Fanny Robert : C'est surtout une très grande envie de travailler avec les meilleurs. A titre très personnel, je préfère être entourée de personnes en qui j'ai toute confiance. C'est la conviction qu'on partage le même imaginaire, qu'on parle le même langage. Je suis contente que vous souligniez la fidélité à certains auteurs. Ce que j'ai adoré au fur et à mesure de ma carrière, c'est que "Profilage" a vraiment été une école qui a vu passer énormément d'auteurs et de réalisateurs. On a tous grandi ensemble, on s'est formé ensemble, on a écrit plus d'une centaine d'épisodes. L'équipe de base est restée stable pendant 15 ans, Sophie Lebarbier, et Mathieu Missoffe, puis après Maxime qui nous a rejoint 5 ans plus tard, et au milieu de ça, il y a eu un brassage d'auteurs, de tous univers, qui sont venus enrichir la série.
Pour revenir sur "Profilage" que vous évoquiez. Vous aviez créé cette série avec Sophie Lebarbier. Pour "Anthracite", vous êtes en binôme avec Maxime Berthemy. Est-ce qu'une nouvelle création avec Sophie Lebarbier pourrait voir le jour dans le futur ?Fanny Robert : Complètement. En fonction des projets, de nos envies à chacun. On est très heureux de travailler les uns avec les autres. Sophie a ressenti le besoin d'écrire des romans parce qu'elle avait envie de s'exprimer autrement. Du coup, elle est venue écrire avec nous mais pas dans un rôle de créatrice parce qu'elle avait envie d'avoir un positionnement différent. Ce qui est chouette avec nos casquettes d'auteurs producteurs, c'est qu'on est assez malléable dans les positions qu'on a envie d'avoir. Des fois on a le courage de porter une série, des fois on a juste envie de prêter un coup de main à des copains sur leur série à eux.
J'ai l'impression que la plateforme est venue mettre un petit coup de pied dans la fourmilière et que ça a fait évoluer tout le monde vers le haut.- Fanny Robert ("Anthracite)L'un des rôles principaux est confié à Hatik qui s'est fait connaître avec la série "Validé". Pourquoi lui ?Fanny Robert : Comme des millions de gens, la première fois que j'ai vu Hatik c'était dans "Validé". Je trouvais qu'il crevait l'écran. Je m'étais toujours dit qu'il faudrait l'avoir un jour. Son nom est revenu par le biais de notre directrice de casting. Il nous a tout de suite beaucoup plu, mais la révélation ça a été le moment où il a passé des essais en binôme avec Noémie Schmidt. On a souvent des coups de coeur pour des comédiens, mais un casting de série c'est une alchimie, surtout dans une série aussi chorale.
Au casting, il y a aussi Camille Lou qui tourne "Cat's Eyes" pour TF1 et Amazon Prime Video. Est-ce que ça a été facile de l'avoir sur votre projet ou ses autres collaborations ont pu être un frein ?Maxime Berthemy : Pas du tout, jamais de la vie. Camille c'était une vraie envie de notre part au départ de lui confier le rôle de Giovanna. On lui a envoyé les textes, elle les a beaucoup aimé. Je me souviens du premier appel qu'on a eu avec elle, où elle était extrêmement enthousiaste. Ce qui est drôle c'est qu'à ce moment là on n'avait que 5 épisodes d'écrits, il manquait le dernier. Elle nous a demandé de le lui raconter par téléphone car elle voulait absolument savoir comment cette histoire se terminait. Elle a été une super collaboratrice pour créer le personnage de Giovanna. On a fait des réunions de travail avec elle sur les dialogues, sur toutes les situations. Il y a eu zéro hésitation ni de la part de Netflix ni de la nôtre sur le fait de lui confier le rôle de Giovanna.
Vous êtes producteur en plus d'être créateur de la série. Qu'est-ce que cela change dans votre approche ?Maxime Berthemy : Je suis producteur artistique, c'est quand même une nuance importante, c'est comme ça qu'on traduit showrunner en France. Je l'ai déjà été sur les saisons 8 à 10 de "Profilage". J'ai commencé ma carrière avec "Profilage", avec Sophie et Fanny, juste en tant qu'auteur au début dans la saison 6. Elles ont dû apprécier ce que j'écrivais car quand elles ont eu envie de prendre un petit peu de recul par rapport à la série, elles m'ont proposé de reprendre "Profilage". Ça a été un processus progressif, d'abord l'écriture, et ensuite de plus en plus d'aspects de la production, le casting, le choix des réalisateurs, les décors, les costumes, tous les aspects artistiques de la production. Sur "Profilage", Fanny et Sophie avaient vraiment créé cette position de showrunner qui en France n'existait que très peu. Assez naturellement je me suis glissé dans ce rôle là qu'elles m'ont appris petit à petit. Sur les dernières années de "Profilage", j'avais ce poste de producteur artistique. Ça a été assez naturel quand, avec Fanny, on a créé la série ensemble, que je reprenne ce poste. Ayant été élevé dans cette école, maintenant c'est un peu comme ça que j'envisage mon métier, c'est à dire de pouvoir accompagner jusqu'à la toute fin de la production ce que j'ai écrit.
Au casting, il y a aussi Raphaël Ferret qui était un des rôles principaux de "Profilage". Pourquoi lui et seulement lui de "Profilage" ?Fanny Robert : On avait besoin d'un personnage extrêmement ambigu, Erwan, c'est un type d'emploi dans lequel il excelle. A chaque fois dans les séries on a des acteurs qui reviennent. Quand Maxime a pris la suite de "Profilage" et qu'on a créé, avec Sophie, "Vise le coeur", "Loin de chez moi", "L'homme que j'ai condamné", on a piqué à droite à gauche des comédiens qu'on avait envie de revoir.
Comme des millions de gens, la première fois que j'ai vu Hatik c'était dans "Validé". Je trouvais qu'il crevait l'écran.- Fanny Robert ("Anthracite)Les deux premières saisons de "Vise le coeur" n'ont pas eu un énorme succès. Est-ce que vous travaillez déjà sur une saison 3 ?Fanny Robert : La saison 1 de "Vise le coeur", que je revendique absolument, est sortie le jour où la reine d'Angleterre est morte. Du coup, je crois que la série a été programmée à 21h30, ça a été une cata de programmation, donc je suis un peu déçue qu'elle n'ait pas eu l'accueil qu'elle aurait dû avoir, même si la saison 1 s'est quand même très bien débrouillée. A la fin de la saison 1, je suis partie de Beaubourg audiovisuel où j'avais monté mon label, Beaubourg fiction, pour monter ma propre société de production, Anthracite production, pour passer une étape supplémentaire dans ma carrière. J'étais partie de chez Beaubourg audiovisuel quand la saison 2 de "Vise le coeur" a été lancée , je n'ai pas suivi la suite de l'évolution de la série.
Quand une première création comme "Profilage" connaît un énorme succès et dure 10 saisons, est-ce que derrière c'est difficile de se renouveler, de trouver de nouvelles idées ?Fanny Robert : Non car "Profilage" c'était un genre très particulier qui était du procédural. J'avais envie d'explorer plein de formes narratives différentes quand j'ai quitté "Profilage". Au contraire, ça a été plein d'idées, de choses que j'avais envie d'explorer, de tons différents, de feuilletonner, ce qu'on faisait moins sur "Profilage", ou d'avoir un ton un petit peu plus bluesy dans "Vise le coeur", une narration plus punchy dans "Anthracite". J'ai plutôt senti un appel d'air en terme d'inspiration et aussi un appel d'air pour prendre un autre type de responsabilités dans l'évolution de ma carrière.
Vous sortez tous les deux de l'école "Profilage", avec le succès qu'on connait. Derrière, quand les chaînes, les plateformes font appel à vous, est-ce qu'il y a une pression à la réussite puisque vos premières créations ont cartonné ?Maxime Berthemy : On se la met nous-même la pression à la réussite et au succès. Ce que j'ai appris de Fanny et Sophie sur "Profilage", c'est cette envie, cette conviction de faire de la fiction grand public de qualité et des séries populaires exigeantes. C'est ce qui nous guide avec Fanny dans les projets qu'on invente, cette envie de toucher la plus grande audience possible tout en gardant notre spécificité et notre attention aux détails. La pression ne vient pas forcément de l'extérieur.
La série est bouclée en 6 épisodes. Néanmoins, on perçoit des ficelles qui pourraient être tirées. Est-ce que vous avez déjà réfléchi à ce que pourrait être une saison 2 ou un spin-off d'"Anthracite" ?Maxime Berthemy : Non, c'est vraiment conçu comme une mini-série où on apporte toutes les réponses à toutes les questions qu'on a soulevé. Après, en cas d'énorme succès, on verra, on aura des conversations parce qu'on adore ces personnages.
publié le 10 avril, Laura Bruneau, Puremédias