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Black Mirror sur Netflix : pourquoi la technologie n'est plus le sujet principal dans la saison 6 ? Le créateur et les acteurs répondent aux mécontents

© Netflix

La saison 6 de Black Mirror s'est éloignée des thématiques liées à la technologie, ce qui n'est pas au goût de tous les fans de la série Netflix. Qu'en pensent le créateur Charlie Brooker et les acteurs de ces nouveaux épisodes ? Attention, spoilers.

Attention, spoilers. Il est conseillé d'avoir vu la saison 6 de Black Mirror avant de poursuivre la lecture de cet article.

Série dystopique la plus flippante de la télévision, Black Mirror a su depuis 2011 nous mettre en garde contre les dérives des nouvelles technologies. Conçue comme une anthologie, la série fait référence aux écrans omniprésents (les écrans noirs des télévisions, ordinateurs et téléphones, notamment) qui nous renvoient notre reflet, pas toujours glorieux.

Chaque épisode, situé dans un futur proche, questionne des hypothétiques mais souvent vraisemblables conséquences des nouvelles technologies et de leurs influences sur la nature profonde de l'humanité, le tout avec un ton sombre et satirique qui laisse toujours un goût amer à la fin.

Si on vous dit "L'Hymne national", "Tais-toi et danse", "San Junipero", "Chute Libre", "Bientôt de retour", "USS Callister" , "Pendez le DJ" ou encore "Bandersnatch" (le film interactif Black Mirror), vous devez avoir des flashs des histoires hallucinantes et tragiques de ces épisodes de la série.

Et l'on doit ces intrigues bien ficelées au cerveau (non robotique) de Charlie Brooker, un journaliste de , qui expliquait dans les colonnes de son média ses questionnements sur son sujet au moment de la sortie de la série en 2011 :

"Si la technologie est une drogue - et ça ressemble fortement à une drogue -, quels sont, précisément, les effets secondaires ? Le "miroir noir" du titre est celui que vous voyez sur chaque mur, sur chaque bureau et dans chaque main, un écran froid et brillant d'une télévision ou d'un smartphone."

Rien d'étonnant à ce que cet expert en télévision et émissions en tout genre à la plume aiguisée et irrévérencieuse ait lancé Black Mirror puisqu'il avait déjà tenté l'exercice avec la courte série Dead Set, qui racontait une invasion de zombies sur le plateau de l'émission de télé-réalité Big Brother.

Sa verve intelligente, sa vision pertinente et la mise en scène de ses questionnements technologiques dans Black Mirror ont été louées par la critique et le public dès le début de la série, qui a marqué une petite révolution à la télévision.

Comme son titre l'indique, Black Mirror nous a habitués à des thématiques très portées sur les nouvelles technologies, les réseaux, Internet, les écrans, l'intelligence artificielle. La série a même souvent eu un coup d'avance sur l'avenir puisque certains épisodes ont prédit des dérives et autres avancées technologiques douteuses, et même l'avènement de personnalités médiatiques problématiques et inattendues.

Et pourtant, la sixième saison lancée le 15 juin dernier sur Netflix a marqué un tournant dans la série puisque certains épisodes n'ont rien à voir avec ces thématiques, ou les traitent de manière détournée ou plus évasive.

La fin d'une ère pour Black Mirror ?

Attendue depuis quatre ans, après une longue pause due à la pandémie, la nouvelle salve d'épisodes est plus surprenante et moins axée dans son ensemble sur les abus technologiques puisqu'elle tire aussi vers le fantastique et la critique sociétale plus contemporaine et même historique.

Et ce changement de ton et de genre n'est pas passé inaperçu auprès des fans de la série ni des abonnés de Netflix, qui ont partagé leur étonnement, voire déception, sur les réseaux sociaux.

Les trois premiers épisodes, "Joan est horrible", "Loch Henry" et "Mon cœur pour la vie" ont tous attrait aux dérives de la technologie. Pour les deux premiers, Charlie Brooker s'est permis de se moquer de Netflix, des plateformes de streaming, de leurs conditions d'utilisation, de leur manipulation sur nos vies et de leurs contenus capitalisant sur des faits divers et autres traumatismes réels.

Le troisième épisode rappelle à certains égards "Retour sur image" et "Bientôt de retour" en racontant les dérives de l'utilisation d'androïdes ou intelligences artificielles avec des consciences humaines et autres technologies censées nous rapprocher en tant qu'êtres humains.

Situé dans un contexte aérospatial, "Mon cœur pour la vie" rentre dans la case dystopique pour bon nombre de raisons et pourtant, quelques subtilités font de cet épisode une bizarrerie comparée aux précédentes saisons de la série.

Se tourner vers le passé pour mieux comprendre le futur ?

Cet épisode raconte les conséquences tragiques sur leurs vies et leurs familles de la mission spatiale périlleuse de deux astronautes, Cliff (Aaron Paul) et David (Josh Hartnett), dont la conscience peut être transférée à un androïde sur Terre pour vivre normalement tandis que leur corps reste dans la navette.

Bien qu'il s'agisse d'un épisode nous menant dans l'espace, il est situé dans une version alternative de l'année 1969, un choix mûrement réfléchi par Charlie Brooker selon Josh Hartnett, qui a expliqué l'intention du créateur dans une interview pour :

"L'espoir et l'optimisme ont été annulées par ce meurtre à la Manson. Parce qu'à ce moment-là, le programme spatial était le grand espoir du peuple américain et l'espoir de l'humanité, en quelque sorte. C'était à la pointe de la technologie à l'époque; les gens qui vont dans l'espace signifiaient quelque chose, comme si nous allions tous coloniser la Lune ou vivre dans le futur des Jeston.

Les années 60 ont mis fin à l'optimisme, à l'espoir. Toute l'expérimentation s'est terminée avec les meurtres de Manson. C'était la fin. Et je pense que cette grande expérience s'est terminée il y a si longtemps que Charlie a voulu revenir à cette époque pour réinventer, et ensuite bien sûr, mettre en place ce thème de l'isolement."

C'est d'ailleurs la particularité de la majorité des épisodes de cette saison 6 de Black Mirror : ils sont situés dans le passé (années 1960, années 1970, début des années 2000 et 2010) ou tournés vers le passé.

Charlie Brooker ne cherche plus à envisager un futur dystopique, il commente notre passé par le prisme d'outils technologiques et d'avancées déjà connues pour mieux comprendre le présent et le futur potentiel.

Une approche que partagent certains des acteurs de la saison 6 de Black Mirror, comme Myha'la Herrold, qui joue Pia dans l'épisode "Loch Henry", que nous avons pu interviewer. Selon elle, "connaître le passé ou connaître son histoire peut être un éclairage sur la manière dont on évolue et dont on avance". Même son de cloche pour Paapa Essiedu, qui incarne Gaap dans "Demon 79", interrogé par nos soins également :

"Parfois, nous avons besoin d'un peu de recul pour réaliser à quel point notre climat actuel est étrange. Ce qui était anormal est devenu normal. [...] Nous avons besoin de ce changement de perspective ou de ce changement de paradigme que vous pouvez obtenir en déplaçant le temps et en changeant la lentille à travers laquelle vous vous regardez."

L'épisode "Demon 79", qui suit une vendeuse ordinaire obligée par un démon de tuer d'autres personnes pour empêcher la fin du monde, permet à travers le prisme du fantastique de revenir sur la montée du fascisme et sur la manipulation de l'opinion publique. Une manière de rattacher les wagons avec le contexte sociopolitique récent.

Pour Samuel Blenkin (Davis dans "Loch Henry"), que nous avons pu questionner, un retour dans le passé permet de déterrer des secrets parfois tragiques, comme celui de son personnage qui découvre que ses parents étaient des tueurs en série et qui tourne cette histoire en documentaire primé sur une plateforme de streaming à la Netflix. La quête du savoir est-elle toujours bénéfique ?

"C'est une histoire qui a été racontée maintes et maintes fois", explique-t-il. "Il s'agit de savoir s'il vaut mieux connaître la vérité ou s'il vaut mieux simplement laisser tomber. La vérité vaut-elle toujours le coup ? Et quelle est réellement la vérité ? Et comment racontons-nous les histoires de nos vies ?"

L'épisode "Loch Henry" constitue un commentaire très cynique sur l'exploitation des histoires criminelles pour des films et documentaires dits true crime qui sont devenus un véritable phénomène de la pop culture et qui passionnent le monde entier.

Les différents retours dans le passé dans cette saison de Black Mirror mettent en lumière les dérives des faits d'actualité populaires, modernes et à venir.

Commenter notre époque plutôt que l'anticiper

Car si les épisodes de Black Mirror sont tournés ou situés vers le passé, ils sont bien en prise avec notre époque. Notamment, l'épisode "Mon cœur pour la vie", qui est inspiré d'un évènement traumatisant que nous avons tous vécu ces dernières années. Josh Hartnett, l'un des acteurs de l'épisode, a expliqué que Charlie Brooker avait écrit cet épisode pendant le confinement, dû à l'épidémie de coronavirus, en réponse à cette fameuse période d'isolement forcé.

Cette nouvelle saison de Black Mirror nous frappe peut-être un peu plus puisqu'elle se base sur une réalité bien plus proche de la nôtre. C'est ce que constate Clara Rugaard (Mazey Day dans "Mazey Day") :

"C'est une période que nous reconnaissons réellement. Ce n'est pas une idée hypothétique de ce qui pourrait arriver dans le futur. [...] C'est le miroir qui se reflète très vivement sur nous et sur notre passé".

Une observation partagée par son partenaire de jeu Danny Ramirez (Hector dans "Mazey Day") :

"Je pense que la beauté de cette saison c'est qu'elle a le même cœur que les saisons précédentes, sauf que maintenant nous pouvons utiliser le génie de Charlie pour commenter l'époque que nous avons vécu. Et donc ce n'est pas nécessairement de l'histoire révisionniste.

C'est en quelque sorte utiliser exactement la même loupe mais pour nous permettre de voir des comportements très humains lorsqu'on nous donne accès à la technologie, de savoir quel est le seuil moral et quelle est la limite cette technologie."

Alors que Charlie Brooker anticipait l'avenir avec des histoires dystopiques, il s'est en quelque sorte fait rattraper par la vie réelle, comme nous l'affirme Samuel Blenkin :

"Quelque chose de différent se passe. Le monde rattrape les paysages d'enfer dystopiques que Charlie a créés au cours des saisons précédentes. Et donc la série doit changer. Je suis en admiration totale de la façon dont la série évolue naturellement et réagit à cela et essaie constamment de se surprendre et de se changer.

Que se passe-t-il lorsque la réalité se fait rattraper ? C'est là où nous en sommes maintenant. Les choses sont très différentes aujourd'hui par rapport à 2011."

Pour ne pas se reposer sur ses lauriers ou s'embourber dans du "déjà-vu", Charlie Brooker devait se renouveler et proposer des tonalités et des réflexions différentes dans cette nouvelle saison de Black Mirror. Zazie Beetz (Bo dans "Mazey Day") nous a confié qu'elle trouvait cela courageux :

"Je pense juste que Charlie tient à continuer à explorer et à ne pas s'enfermer dans un seul ton ou une seule approche du monde de Black Mirror. C'est cool et courageux d'essayer quelque chose de nouveau parce que la série est tellement liée à la technologie. C'est super courageux de se libérer de ce socle narratif."

Ce n'est pas la technologie qui part en vrille, c'est le monde

Mais le fait d'être rattrapé par la réalité n'est-il pas mauvais signe pour Black Mirror ? Charlie Brooker peut-il se renouveler sans cesse s'il ne peut plus avoir de coup d'avance dans ses intrigues ? L'actrice Anjana Vasan, qui incarne Nida dans "Demon 79", a toute confiance en lui pour l'avenir :

"Charlie a prouvé à maintes reprises que ses épisodes arrivent toujours à point nommé. Je ne sais pas quelle sorte de boule magique lui permet de voir dans un futur proche, mais il arrive à prendre le pouls de ce qui se passe. J'ai donc l'impression que chaque saison de Black Mirror arrive à un moment qui semble prémonitoire.

C'est très pertinent par rapport à où nous en sommes maintenant. Et je pense qu'il y avait une grande envie du public pour une nouvelle saison de Black Mirror. Charlie en est arrivé à un moment où il pouvait directement puiser dans nos peurs et nos angoisses actuelles et il y a beaucoup de peur et d'anxiété à explorer dans le monde de Black Mirror."

Josh Hartnett est également très confiant sur les capacités du créateur de Black Mirror : "Charlie a un esprit tellement dissipé. Il part dans tous les sens. On le ressent parce que s'il était un créateur d'une série basique, il écrirait seulement une histoire et il s'y accrocherait pendant un certain temps, mais il écrit des choses différentes et en mouvement perpétuel."

Charlie Brooker a donc quelque peu délaissé les thématiques technologique et dystopique pour établir une critique plus incisive et plus proche de notre société actuelle. Le créateur de Black Mirror a d'ailleurs précisé dans une récente interview pour qu'il ne voulait pas que la série soit trop catégorisée "tech" :

"Il y avait un léger danger que les gens mettent [la série] dans la case "la technologie est mauvaise" - et j'ai trouvé cela un peu frustrant en partie parce que je me suis toujours dit que la série ne dit pas que la technologie est mauvaise, elle dit que les gens sont foutus."

Après tout, même si Black Mirror est une fiction d'anticipation, Charlie Brooker n'en reste pas moins journaliste et donc un commentateur de l'actualité et de notre société. C'est bien grâce à ses capacités de réflexion, ses questions pertinentes et sa brillante écriture que Black Mirror a connu sa renommée. On peut donc lui faire confiance pour sa plus large critique de la société technologique ET médiatique. Il le confirme lui-même :

"Il y a beaucoup de commentaires médiatiques et de satire [dans Black Mirror], et cela a inévitablement quelque chose à voir avec votre image et la façon dont vous êtes perçu. Mais c'était intéressant de réinitialiser les choses de cette façon. Et c'était définitivement une décision consciente de modifier légèrement ce qu'est la série."

Alors, Black Mirror, aujourd'hui, est peut-être arrivée au bout de son concept ou bien a été rattrapée par une réalité trop brutale. Ou pire encore, nous sommes peut-être arrivés à un stade où nous sommes trop habitués aux bouleversements sociétaux, technologiques et médiatiques, que même Black Mirror n'arrive plus à nous étonner.

Mais la série n'en reste pas moins incisive et pertinente sur ce qu'elle a à dire de nous et de notre société contemporaine, avec un message peut-être encore plus effrayant qu'avant. Nous ne devons plus nous inquiéter de l'avenir, c'est le présent qui est devenu dangereux désormais.

Propos recueillis par Mégane Choquet les 14 et 15 juin 2023.

publié le 22 juin, Mégane Choquet, Allociné

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