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"Un film nécessaire pour ouvrir le débat" : Le Bleu du caftan s'empare du tabou de l'homosexualité au Maroc

Le tabou de l'homosexualité au Maroc raconté avec pudeur et justesse dans Le Bleu du caftan, à voir au cinéma ce mercredi. Le film a été récompensé à Cannes (Un Certain Regard) et aux festivals de Marrakech et d'Angoulême.

De quoi ça parle ?

Halim est marié depuis longtemps à Mina, avec qui il tient un magasin traditionnel de caftans dans la médina de Salé, au Maroc. Le couple vit depuis toujours avec le secret d'Halim, son homosexualité qu'il a appris à taire. La maladie de Mina et l'arrivée d'un jeune apprenti vont bouleverser cet équilibre. Unis dans leur amour, chacun va aider l'autre à affronter ses peurs.

A l'image du tissu du caftan qui donne son titre au film, Le Bleu du caftan est une oeuvre très délicate, douce, qui aborde avec pudeur le sujet de l'homosexualité au Maroc. La force du film repose sur un scénario fin, qui prend le temps de nous dévoiler les personnages progressivement. Des scènes fortes se dégagent du film, comme cette scène de chorégraphie de deux pieds, dont nous ne dirons rien de plus. L'interprétation du trio qui compose le film est toujours juste : Saleh Bakri, Lubna Azabal et Ayoub Missioui.

Le Bleu du caftan est réalisé par Maryam Touzani (qui avait précédemment réalisé Adam), et coécrit par cette dernière et Nabil Ayouch (Much Loved, Haut et fort).

Nous avons rencontré la cinéaste à l'occasion du Festival du film francophone d'Angoulême, où le film a reçu le Valois de la mise en scène et le Valois de l'acteur pour Saleh Bakri (Halim). Le Bleu du caftan a également reçu le prix Fipresci Un Certain regard à Cannes, et distingué à Marrakech.

AlloCiné : Plus que d'un désir, peut-on parler d'une nécessité de raconter cette histoire ?

Maryam Touzani, scénariste et réalisatrice : Une vraie nécessité. Le déclencheur de l'écriture a été la rencontre avec un homme dans la medina pendant que je faisais les repérages de mon dernier film. Cet homme a réveillé en moi des souvenirs d'enfance, d'adolescence, d'hommes que j'avais connu, d'histoires que j'avais entendues à demi mots, mais jamais incarnées. A travers cette rencontre, il y a eu quelque chose d'incarné justement. J'ai compris des choses et ça m'a bouleversée à travers la rencontre avec cet homme que j'ai assez fréquenté. J'allais souvent le voir. Je sentais le poids du non-dit sur sa vie, même si on en a jamais parlé.

Derrière, j'ai ressenti le besoin d'écrire cette histoire, de raconter ce personnage qui vit dans le non-dit, dans un conflit permanent entre qui il est et qui il doit prétendre être, qui doit toujours garder cette façade pour la société, pour continuer à vivre normalement. C'est quelque chose qui peut être tellement violent par moment. Et en même temps, on peut s'habituer, on peut trouver un semblant de bonheur là-dedans, parce qu'on n'a pas le choix.

Il fallait trouver LE bon acteur pour incarner ce personnage...

Saleh Bakri était vraiment comme le personnage que j'avais imaginé. Il a une espèce de force tranquille dans le film. Je trouvais qu'il y avait quelque chose de très expressif dans son regard, dans sa manière d'être qui était déjà là. J'avais envie d'explorer davantage pour ce personnage. J'ai senti qu'il y avait quelque chose en lui. Je ne sais pas comment expliquer ça. C'est de l'ordre de l'émotion. On a beaucoup parlé du personnage. Je sentais qu'il arrivait à comprendre ce que vivait cet hommage dans son quotidien, cette contradiction constante, cet amour pour sa femme car il aime véritablement sa femme. Cette double vie, cette homosexualité qu'il essaye de taire.

On a aussi travaillé sur son métier car pour moi ça raconte aussi qui il est, cet amour qu'il a dans son métier aussi. J'avais envie de pouvoir raconter le personnage de Halim à travers ce caftan, ce tissu. Cela définit tellement qui il est, son univers. Il vit dans sa propre bulle pour se protéger du monde, et il a ce métier qui le passionne ; il a ce souci du détail que j'ai eu envie de montrer, des gestes que je trouve incroyablement beaux. Montrer comment il s'échappe du monde grâce à ce métier qu'il aime et qu'il a envie de protéger. C'est un métier qui est en train de disparaître, et c'est aussi pour cela que j'ai voulu le montrer.

Y a-t-il une prise de risque à faire un film comme celui-là ?

Oui. Ce n'est pas du tout anodin. C'est quand même très compliqué, mais en même temps, pour moi, c'est nécessaire car je pense qu'il faut absolument qu'on puisse ouvrir le débat, qu'il puisse y avoir un débat public.

Quand j'écris, quand je réalise, mon désir de raconter une histoire est beaucoup plus fort que ma conscience du risque. Et heureusement ! Mais je suis quand même assez optimiste et je me dis que ça peut peut être apporter une petite pierre à l'édifice, et que ça peut peut être ouvrir le débat et qu'on puisse en parler d'une manière sereine afin de faire avancer les choses, et qu'on puisse aimer comme on a envie d'aimer, qu'on soit libre d'aimer.

J'espère que le film va pouvoir sortir de façon traditionnelle au Maroc. Je pense que le Maroc est en train d'avancer, que ces dernières années il y a eu une volonté de pouvoir protéger les minorités sexuelles, ça commence à prendre un peu de place dans l'espace public.

Le fait qu'il n'y ait pas de scènes explicites va aider à ce que le film puisse passer en salles. Même si ce n'est pas la raison. Je ne me serais jamais censurée là dessus. Le film aborde l'homosexualité, mais, pour moi, c'est avant tout un film qui aborde l'amour, toutes les formes d'amour. Je voulais faire un film sur un amour qui ne connaît pas de barrières, de frontières, qui transcende tout ça.

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Le Bleu du caftan sort au cinéma ce mercredi 22 mars 2023.

Propos recueillis au Festival du film francophone d'Angoulême 2022

publié le 22 mars, Brigitte Baronnet, Allociné

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