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Sur l'Adamant : "Une psychiatrie qui considère vraiment les patients"... Retour sur ce documentaire avec Nicolas Philibert

Ours d'or lors de la dernière Berlinale, le documentaire "Sur l'Adamant" de Nicolas Philibert est sorti ce mercredi dans nos salles. Rencontre avec le réalisateur de ce film qui nous fait découvrir un centre de jour unique en son genre.

Ours d'Or lors du dernier Festival de Berlin, le documentaire Sur l'Adamant de Nicolas Philibert, est sorti ce mercredi 19 avril dans nos salles.

Le long-métrage nous fait découvrir l'Adamant, un Centre de Jour unique en son genre : c'est un bâtiment flottant. Édifié sur la Seine, en plein cœur de Paris, il accueille des adultes souffrant de troubles psychiques, leur offrant un cadre de soins qui les structure dans le temps et l'espace, les aide à renouer avec le monde et à retrouver un peu d'élan. L'équipe qui l'anime est de celles qui tentent de résister autant qu'elles peuvent au délabrement et à la déshumanisation de la psychiatrie. Ce film nous invite à monter à son bord pour aller à la rencontre des patients et soignants qui en inventent jour après jour le quotidien.

Nous avons pu échanger avec le réalisateur à qui l'on doit notamment les films Être et avoir, La Moindre des choses et Nénette. Un homme passionné et passionnant qui porte un regard plein de tendresse et de lucidité sur les patients et les soignants de ce centre de jour unique.

AlloCiné : Après "De Chaque Instant" qui nous plongeait dans un Institut de Formation en Soins Infirmiers, vous restez dans le milieu médical. Comment avez-vous découvert ce centre de jour unique et qu'est-ce qui vous a donné envie de venir y poser votre caméra ?

Nicolas Philibert : J'ai entendu parler de l'Adamant avant même que le lieu existe. J'en ai entendu parler grâce à une psychologue clinicienne et psychanalyste qui a participé à sa fondation, il y a un peu plus de 15 ans. Vous savez, c'est un lieu qui a été pensé et créé en lien avec des soignants et des patients.

Les patients décrivent l'Adamant comme un lieu vraiment apaisant. C'est peut-être la proximité de la Seine... C'est aussi le fait qu'on peut y circuler librement. Souvent, les lieux dédiés à la psychiatrie sont des lieux fermés. Ce lieu là, est un lieu ouvert et c'est un endroit qui est beau. On est en plein cœur de Paris et en même temps on a l'impression d'être ailleurs. Au fond, on s'y sent bien.

AlloCiné : Dans ce centre, les patients sont presque traités à égalité avec les soignants. On leur confie des tâches, ils sont considérés comme des êtres humains et pas comme des malades. Était-ce ce que vous souhaitiez montrer dès le départ en choisissant de faire un film sur ce lieu ou est-ce que ça s'est imposé à vous au fil du tournage ?

Nicolas Philibert : J'avais cette idée dès le départ. Je savais, en choisissant de faire un film dans cet endroit, que je pourrais montrer une psychiatrie qui considère les patients comme des personnes capables de s'intéresser à tout un tas de choses et non pas uniquement à travers leurs symptômes, à travers leurs maladies. Ici ce sont des personnes à part entière. Donc je savais dès le départ que le film montrerait une psychiatrie humaine.

"Je voulais montrer une psychiatrie qui considère vraiment les patients"

Sur l'Adamant, les gens sont considérés, comme vous dites. Et puis, ils sont acceptés, si j'ose dire, tels qu'ils sont. C'est à dire qu'on ne cherche pas forcément à les domestiquer, à les remettre entre guillemets dans le droit chemin, mais on cherche à les aider et à renouer un lien avec le monde sans forcément gommer leur personnalité et leur singularité. On respecte qui ils sont.

AlloCiné : Dans ce film, on voit que les patients participent à plusieurs ateliers. On pense forcément à "La Moindre des choses" tourné en 1997. Diriez-vous que les 2 œuvres sont liées ?

Ce sont deux films tournés dans des lieux singuliers. Parce qu'ils ne sont pas tout à fait représentatifs de ce qui se passe en psychiatrie, car la psychiatrie aujourd'hui est très dévastée. Beaucoup de lieux se caractérisent par un manque crucial de personnel, de soignants et donc beaucoup d'équipes sont aujourd'hui complètement découragées, alors que sur l'Adamant, il y a encore beaucoup d'attractivité. Quand on y est soignant, on est plutôt heureux de travailler là. Quand on est patient, on aime y venir. C'est vraiment un lieu d'accueil.

AlloCiné : De votre point de vue, en 25 ans diriez-vous que le monde médical et psychiatrique a évolué et si oui dans quel sens ?

La psychiatrie n'était déjà pas florissante à l'époque, mais aujourd'hui, la situation est bien pire parce que le rouleau compresseur de l'économie est passé par là et ne cesse d'écraser toute la dimension humaine de la psychiatrie.

"Aujourd'hui, la situation est pire parce que le rouleau compresseur de l'économie est passé par là."

Or, en psychiatrie, la relation, c'est la base de tout. Il y a les médicaments, bien sûr, mais au-delà, si on ne cherche pas à réveiller le désir, aider les patients à retrouver un lien avec le monde, alors autant faire autre chose. Beaucoup de soignants sont en effet découragés, parce que moins il y a de personnel, plus la tâche est lourde pour ceux qui sont encore là et qui doivent travailler...

Quand on n'a plus le temps d'écouter, quand on n'a plus le temps de créer ou de participer ou de faire vivre un atelier, quand on n'a plus le temps d'inventer... Et en psychiatrie, il faut toujours inventer parce que chaque patient est différent. Il n'y a pas de recettes, il n'y a pas de méthode qui pourrait s'appliquer à tous. Tous sont différents et il faut essayer de faire un peu de sur mesure pour aider chacun.

C'est difficile, ça demande du temps et beaucoup de patience. Mais quand on n'a plus le temps de faire son métier correctement, on est découragé, on est culpabilisé aussi. On se sent un peu honteux d'abandonner les patients.

Aujourd'hui, on a de nouveau recours aux contentions, c'est-à-dire que les patients sont attachés sur leur lit. Les patients agités, ça arrive, mais quelquefois, on pourrait leur épargner cette humiliation. C'est insupportable d'attacher les gens, de les enfermer dans des chambres qui ressemblent à des cellules qu'on ne peut pas ouvrir.

Invisibiliser les patients

C'est aussi une forme d'invisibilité. Comme si la société ne voulait pas les voir, voulait les exclure, les cacher comme s'ils étaient des parias qui font peur et qui sont regardés comme possiblement dangereux. Alors que dans leur immense majorité, ces personnes sont fragiles. Et quand elles sont dangereuses, parce que ça arrive, la plupart du temps, c'est contre elles-mêmes.

AlloCiné : Quel est votre souvenir le plus marquant du tournage de Sur l'Adamant ?

Ce que j'ai envie de vous dire, c'est que quand on fait un film en psychiatrie, on est tout le temps surpris. On est tout le temps surpris parce qu'on est parmi des gens qui sont souvent étonnants, souvent surprenants, pour un tas de raisons.

On a tous des clichés dans la tête. Quand j'ai fait ce film, au fond, j'ai pu être surpris de voir que beaucoup de situations, ou de personnes, ne correspondaient pas aux clichés qu'on peut avoir concernant la psychiatrie.

J'ai rencontré des gens parfois très lucides, qui ont une conscience aiguë des choses, des gens très intelligents, pour certains, très cultivés, pour certains encore qui ont beaucoup d'humour, mais qui peuvent aussi, quelques jours plus tard, être tout d'un coup assaillis par leurs angoisses et se fermer aux autres. On va de surprise en surprise, en un sens. On est souvent étonnés.

AlloCiné : J'allais justement vous demander ce qui vous intéressait particulièrement dans la réalisation de documentaire, mais vous venez un peu d'y répondre. Ce sont les rencontres ?

Oui ! Ce sont les rencontres et le fait d'apprendre des choses des autres. Je ne fais pas des films pour instruire les spectateurs, pour dire aux gens quoi penser, ce qu'il faut savoir sur un lieu ou sur la psychiatrie.

J'invite les spectateurs à aller avec moi à la rencontre d'un lieu et des personnes qui y sont

Non, je fais des films pour aller à la rencontre du monde dans lequel je vis, pour aller à la rencontre des autres. Pour essayer de découvrir aussi des choses sur moi-même, pour être un peu moins bête. Je le dis souvent comme ça. Je fais mes films avec de la curiosité, mais pas à partir d'un savoir ou de connaissance. J'invite les spectateurs à aller avec moi à la rencontre d'un lieu et des personnes qui fréquentent ce lieu.

AlloCiné : Comment avez-vous choisi les patients qui allaient intervenir dans le documentaire ? On assiste à de longues conversations et on est complètement happés par ces personnalités attachantes. On pleure, on rit mais jamais d'eux. Comment parvient-on à cela ?

Je ne suis pas arrivé en disant "Vous, vous m'intéressez, vous non..." Quand j'arrive quelque part pour faire un film, que ce soit sur l'Adamant ou ailleurs, j'explique un peu ce que je suis venu faire. J'explique que chacun pourra très librement accepter ou refuser la caméra, qu'on peut accepter d'être filmé un jour, qu'on peut refuser de l'être le lendemain. Il s'agit de mettre les gens à l'aise et de susciter auprès d'eux le désir de participer au projet.

Mais ce n'est pas moi qui choisi. Je fais en sorte que des rencontres puissent avoir lieu et puis ça va donner ici ou là des moments d'échanges filmés. Mais il y a aussi des gens avec qui j'ai eu de très bonnes relations pendant le tournage et ces personnes, pour autant, ne souhaitaient pas être filmées.

Donc, ce qui compte, c'est la rencontre et la relation qu'on arrive à nouer avec les intervenants. Je fais des films, au fond, pour essayer d'aller à la rencontre des personnes qui sont dans le lieu que j'ai choisi de filmer. Ce n'est pas moi qui décide qui sera dans le film ou pas. C'est eux et moi. On ne sait pas d'avance ce qui va se passer. Il y a une grande part de hasard.

Les rencontres, supposent le hasard d'ailleurs. Pour qu'il y ait vraiment rencontre, il faut qu'il y ait une dimension de hasard. Si les choses sont trop orchestrées, trop prévues, la rencontre n'a pas vraiment lieu. C'est autre chose, mais ce n'est pas vraiment une rencontre.

AlloCiné : Les patients ont-ils déjà vu le film ?

Oui, bien sûr. Je leur ai montré le film, pas sur l'Adamant, mais dans une salle de cinéma. On a fait une projection le 11 mars dernier pour les soignants et les patients et ça a été un très beau moment, très émouvant. Les retours que j'ai me laissent penser que la plupart ont été très touchés par le film. Même si c'est parfois un choc de se voir sur grand écran, mais les retours ont été très chaleureux, très positifs.

AlloCiné : Comment avez-vous travaillé le script de ce film ? J'imagine qu'à l'instar d'Être et avoir avec de jeunes enfants, on ne peut pas réellement prévoir ce qui va se passer ?

Très bonne question parce qu'en effet, on est obligé d'écrire un texte pour chercher des financements mais, comme vous le dites, on ne peut pas décrire ce qui ne s'est pas encore produit.

Donc, à quoi ressemble une note d'intention pour un film comme celui-là ? C'est d'abord la description du lieu, de ce qui s'y passe, un peu de son fonctionnement, pour dire ensuite, dans un deuxième temps, comment on aimerait s'y prendre, mais on ne sait pas encore quels seront les protagonistes.

Il m'arrive quand même de décrire un peu quelques-unes des personnes qui viennent là, mais sans encore être sûr que ce seront bien eux qui seront dans le film. C'est une façon de décrire un peu l'ambiance du lieu et de laisser entendre déjà à quoi pourrait ressembler le film. Même si beaucoup d'aspects restent encore complètement inconnus.

Quand je commence un film, je ne sais pas encore très bien où je vais. Et d'une certaine manière, je ne cherche pas à le savoir. Le film va se construire au quotidien, jour après jour, en fonction de l'intérêt que les personnes qui sont là peuvent ressentir vis-à-vis du projet, de leur motivation, des rencontres qui vont se faire ou pas. Le film va surgir des rencontres et de la relation avec les uns et les autres.

AlloCiné : Et justement est-ce que c'est compliqué de trouver des financements pour faire un film documentaire ?

Oui, le financement du cinéma documentaire est complexe. J'ai la chance d'y arriver relativement bien comparé à beaucoup de mes collègues. J'arrive à peu près à financer mes films quand bien d'autres cinéastes ont de grandes difficultés à le faire.

Beaucoup de films se font grâce à l'obstination des cinéastes, à leur capacité à soulever des montagnes, à faire leurs films avec des moyens réduits, voire très précaires, mais beaucoup de films se font quand même. Il y a presque deux documentaires en salle chaque semaine en France.

AlloCiné : J'ai l'impression qu'en France, on est encore un peu préservé de ce côté là...

En effet, la France est un peu une exception de ce point de vue là, parce que les pays voisins produisent très peu de documentaires pour le cinéma.

AlloCiné : Pensez-vous que le fait d'avoir reçu l'Ours d'or à Berlin face à des films de fiction peut aider les autres documentaires à se monter plus facilement ?

J'espère que cet Ours d'Or va pouvoir aider les autres. J'espère qu'il va pouvoir aider le cinéma documentaire en général et au-delà, un certain type de cinéma un peu artisanal.

AlloCiné : Pour revenir sur ce prix. Quand Kristen Stewart vous a décerné l'Ours d'or, elle a fait un très beau discours durant lequel elle souligne que le film est plus cinématographique que certaines fiction. Qu'avez vous ressenti à ce moment?

J'étais ému. J'étais même un peu chamboulé. Sur le moment, quand je suis monté sur la scène, j'étais un peu dans un état second presque. Je ne sais même plus ce que j'ai dit. J'étais très touché, bien sûr, très flatté et très fier. Et je n'y croyais qu'à moitié encore à ce moment-là. Il m'a fallu un peu de temps pour comprendre.

AlloCiné : A l'instar de "Être et Avoir" qui avait été nommé au César du meilleur film, "Sur l'Adamant" concourait au côté de fictions. Est-ce que ça prouve que le réel est plus fort que la fiction ?

Être et avoir avait en effet été nommé au César du meilleur film, meilleur réalisateur et meilleur montage, mais je ne sais pas si ça pourrait se reproduire aujourd'hui, parce qu'on a créé un César du documentaire depuis. Au moment de la sortie d'Être et Avoir, ça n'existait pas. Et du coup, il n'est pas sûr aujourd'hui qu'un documentaire soit nommé comme meilleur film.

"Le César du meilleur documentaire est à double tranchant"

Je trouve que, d'une certaine manière, la création de ce César du meilleur documentaire est un peu à double tranchant. C'est une façon de reconnaître le documentaire, mais en même temps, c'est peut être l'enfermer dans un ghetto. Le danger c'est de les considérer comme des films "à part".

AlloCiné : J'ai lu que "Sur l'Adamant" était le premier volet d'un triptyque. Pouvez-vous nous parler des 2 autres films ?

Ce qu'il faut dire en quelques mots, c'est qu'au départ, il n'était question que d'un seul film, celui-ci, Sur l'Adamant. Et en cours de route, deux autres projets ont vu le jour.

Un film qui se situe à l'hôpital auquel l'Adamant est rattaché, l'hôpital Esquirole à Charenton, dans lequel j'ai filmé des conversations entre des patients et des soignants. On y retrouvera quelques-uns des personnages de Sur l'Adamant, qui sont hospitalisés là-bas.

Et puis, un film qui sera constitué de visites à domicile effectuées par des soignants, des infirmiers qui se rendent parfois chez tel ou tel patient, notamment pour les aider à résoudre des problèmes domestiques. Quand il y a quelque chose chez eux qui ne fonctionne plus, ces infirmiers viennent leur donner des coups de main. Ce sont aussi des prétextes pour parler et échanger un peu.

Il y aura donc trois films, mais qui seront tout à fait indépendants les uns des autres. Ce que je veux dire par là, c'est qu'on ne sera pas obligé d'avoir vu Sur l'Adamant pour voir le deuxième film ou le troisième.

publié le 20 avril, Laëtitia Forhan, Allociné

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