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Scandale et érotisme : ce film qui a fait couler beaucoup d'encre revient au cinéma

Ce film a provoqué un scandale pour son érotisme lors de sa sortie il y a 64 ans : Les Amants de Louis Malle, avec Jeanne Moreau, ressort au cinéma ce mercredi. Retour sur les coulisses de la sortie classé sulfureux.

De quoi ça parle?

Jeanne Tournier mariée à un magnat de la presse et mère d'une petite fille, s'ennuie dans son château près de Dijon. Elle se rend souvent à Paris pour visiter son amie Maggy et son amant Raoul. Une panne de voiture lui fait faire la connaissance de Bernard dont elle tombe amoureuse.

Cachez cette scène que vous ne saurez voir

Bien avant Cinquante Nuances de Grey ou encore Mektoub My Love Intermezzo, qui ont tous deux défrayés la chronique plus récemment, ce film de 1958 avait lui aussi, à sa façon, fait couler énormément d'encre pour son érotisme. A l'occasion de la ressortie du film en copie restaurée, dans le cadre d'une rétrospective du cinéaste Louis Malle sur le thème "Gentleman provocateur", nous vous proposons de revenir sur les coulisses du scandale provoqué par ce film.

Sorti en France le 5 novembre 1958, Les Amants va connaitre un début de carrière fracassant au Festival de Venise, où il est présenté en avant-première. Il en repartira d'ailleurs avec le Prix spécial du jury. Remarqué mais immédiatement décrié ! Quelle en est la raison précise ? Sa façon peut commune pour l'époque de filmer la naissance d'une passion charnelle. Contrairement aux habitudes de l'époque, la caméra de Louis Malle va s'attarder un peu plus qu'attendu sur les étreintes entre Jeanne Moreau et son amant, Jean-Marc Bory...

Si on cherche à définir l'érotisme, je pense que c'est le film le moins érotique qui n'ait jamais été fait "Ce qui a fait le succès des Amants, c'est au fond, une espèce de réputation de film érotique. Alors que si on cherche à définir l'érotisme, je pense que c'est le film le moins érotique qui n'ait jamais été fait. L'érotisme est basé sur la notion de frustration. C'est une notion très occidentale, basée sur la notion de péché. Or, justement, ce que j'ai voulu faire dans Les Amants, quand il s'agit de montrer un homme et une femme au moment de vérité, où ils se trouvent obligés d'être eux-mêmes, en général, on fait un panoramique sur la fenêtre", confiera le réalisateur Louis Malle quelques années après la sortie du film, au micro de François Chalais*.

Et d'ajouter : "Tout l'histoire du cinéma, c'est ça ; ce sont des panoramiques sur la fenêtre. Ce que Les Amants apportait par rapport aux films qui les avaient précédé, c'est que le panoramique sur la fenêtre avait lieu disons 30 secondes plus tard. Ça a l'air d'être un film qui a joué sur le scandale. Par gout, je ne ferais même pas du tout de panoramique sur la fenêtre. Je sais qu'il y a tout de même une limite, mais je crois que ce qui a finalement à la fois surpris, choqué, scandalisé, provoqué le succès, c'est qu'il y avait une grande honnêteté".

C'est un film dont on a beaucoup parlé sans l'avoir vu ! Dans un entretien filmé* au moment de la promotion du film, Jeanne Moreau donne son sentiment : "C'est un film dont on a beaucoup parlé sans l'avoir vu. Je crois qu'il y a eu un malentendu. On a parlé de scènes scandaleuses. Cette fameuse scène d'amour qui se passe tout une nuit dans un parc et dans la chambre. Il me semble que c'est un malentendu assez grave parce que ce film a été fait sans hypocrisie aucune. Cette scène n'a pas été faite dans un but commercial pour scandaliser".

Dans le livre d'entretiens "Conversations avec... Louis Malle"**, le cinéaste précise ses envies : "Mon intention n'était pas de faire un film qu'on trouverait érotique et scandaleux. C'est pourtant ce qui s'est produit. Mais il était indispensable de comprendre pourquoi cette femme avait décidé de changer complètement de vie, comment elle découvrait en une seule nuit des choses dont elle ne supposait même pas l'existence : le côté physique de l'amour, le sexe. Et cela arrivait par hasard. Comme c'est souvent le cas, dans mes premiers films, le traitement stylistique se définissait presque en opposition au film précédent. Je n'avais pas été entièrement satisfait d'Ascenseur pour l'échafaud et, d'une certaine façon, en faisant Les Amants, j'avais l'impression d'être bien davantage moi-même. J'avais choisi de raconter cette histoire avec de longs plans. A l'époque, c'était à la mode : Hitchcock avait fait La Corde avec une suite de plans de dix minutes et ça nous avait beaucoup impressionnés. C'était aussi le moment où Alexandre Astruc parlait de caméra-stylo. En somme, j'essayais de trouver mon style."

Une dénonciation de l'hypocrisie de la bourgeoisie A l'origine de cette intrigue, il y a une nouvelle écrite au XVIII siècle ayant servi de base. Louis Malle explique avoir eu l'idée en lisant un texte écrit par Vivant-Denon, "un contemporain de Choderlos de Laclos (auteur des Liaisons dangereuses, Ndlr.)". Louis Malle avait parlé de ce texte à sa coscénariste, Louise de Vilmorin. "Si cette histoire m'avait tant intéressé, c'est aussi parce qu'elle me rappelait un scandale qui s'était produit dans mon entourage. Une femme que je connaissais bien avait quitté son mari et ses enfants pour quelqu'un qu'elle venait de rencontrer. Une passion instantanée, mais qui n'avait pas eu une fin très heureuse. Je ne peux pas dire que c'était autobiographique, mais je me sentais très concerné par cette histoire. Bien sûr, ce que j'avais en tête, c'était une dénonciation de l'hypocrisie de la bourgeoisie et du fait que les femmes sont supposées être de bonnes épouses, de bonnes mères et s'en tenir là."

Le film a fait l'objet de discussion, à propos de détails pouvant peser sur la morale du film. Louis Malle a tenu à surprendre avant tout. "Je voudrais que le spectateur soit constamment surpris par ce qu'il voit, puis qu'il dise : -Ça alors! Ce n'est pas ce a quoi je m'attendais, c'est autre chose. - C'est ce que j'ai toujours essayé de faire. (...) Quand le montage des Amants a été terminé, on l'avait montré aux distributeurs et je me souviens qu'ils voulaient que je supprime un plan, celui où Jeanne Moreau dit au revoir à sa fille, avant de s'en aller. Ils m'avaient dit : - Et si on oubliait qu'elle a une fille ? - C'était un moment très romantique et on se rappelait brusquement qu'elle était aussi une mère, qu'elle commettait une action horrible en abandonnant son enfant. Quitter son mari, très bien, mais laisser une petite fille de quatre ans... d'après eux, ça n'allait pas plaire au public. 'Je regrette, leur ai-je dit, mais justement, tout est là. Si je coupe ce plan, ça n'a plus de sens.' Si elle n'avait pas d'enfant, elle irait simplement d'amant en amant, puis elle reviendrait chez son mari. Mais le fait qu'elle fasse le choix d'abandonner sa fille signifie que sa décision a bien plus d'importance. Si j'enlevais ça, la fin du film serait lourde au lieu d'être grave".

Les Amants de Louis Malle ressort au cinéma ce mercredi dans le cadre de la première partie d'une rétrospective du réalisateur. Cette rétrospective est composée des films suivants : Ascenseur pour l'échafaud, Les Amants, Le Feu Follet, Viva Maria, Le Voleur, Le Souffle au coeur et L'Inde fantôme.

* Interviews disponibles sur le DVD des Amants, édité par Arte Video

** "Conversations avec... Louis Malle", signé Philip French et traduit par Martine Leroy-Battistelli (éditions Denoël, 1993)

publié le 9 novembre, Brigitte Baronnet, Allociné

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