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Retour à Séoul : la plus belle scène de danse de ce début d'année est dans ce film bouleversant passé par Cannes

Huit mois après avoir marqué les spectateurs qui l'ont découvert à Cannes, "Retour à Séoul" est enfin dans les salles. Et on parle avec Davy Chou et son actrice Park Ji-min de ce film qui devrait vous bouleverser, avec une scène de danse sublime.

"Ce qui me fait le plus plaisir, c'est que ce moment de sortir le film soit partagé avec d'autres personnes. Le plus possible parmi celles qui ont fait le film", nous dit Davy Chou au Festival de Cannes, où il a présenté son second long métrage quelques jours seulement après en avoir terminé le mixage.

"Et là on était assez nombreux [pour la projection]. Les comédiens, les techniciens, dont certains étaient venus de Corée du Sud. Une personne est même venue du Cambodge, et ça n'a pas prix. C'est cette émotion que je garde en moi". Son actrice principale Park Ji-min nous avoue elle aussi être émue : "Et je ne pense pas que je vais m'en remettre de sitôt."

Comme beaucoup des spectateurs de ce Retour à Séoul, pépite de la dernière édition cannoise qui a touché le spectateur en plein coeur. Avec l'histoire de cette jeune femme à la recherche de ses origines en Corée, ou une scène de danse absolument bouleversante. Et cela valait bien d'en discuter un peu avec les principaux intéressés.

Et ce alors que le long métrage a manqué de peu une nomination pour l'Oscar du Meilleur Film en Langue Étrangère, en tant que représentant du Cambodge, pays natal de son metteur en scène.

AlloCiné : L'origine de ce projet vous est très personnelle, Davy, car le film s'inspire d'une expérience que vous avez vécu il y a une dizaine d'années.

Davy Chou : Exactement. Lors de ma première fois en Corée du Sud, où j'allais présenter mon premier long métrage [Diamond Island]. Sachant que j'y allais, une copine m'a dit qu'elle venait avec moi. Elle avait vécu une histoire d'adoption similaire à celle de Freddie : née en Corée, elle avait été adoptée par des Français à l'âge d'un an et grandi en France. Elle était retournée dans son pays natal deux ans avant que je n'y aille. Elle avait rencontré la famille de son père biologique, et ça s'était mal passé selon ses dires, même si elle ne l'avait vue que deux fois.

Elle avait donc demandé à m'accompagner, en me disant qu'on ne verrait pas son père, car elle n'avait pas envie de le voir. Puis, après deux ou trois jours sur place, elle me dit au détour d'une conversation qu'ils se sont envoyé des messages et qu'elle le voit le lendemain, et me propose de venir avec elle. Ce qui raconte déjà quelque chose. Le personnage de Freddie est un peu imprévisible et peut changer d'avis. Mais, comme elle le dit au début du film, la peur de quelque chose est aussi ce qui lui fait défoncer la porte la tête la première.

Mon amie est un peu comme ça et je l'ai accompagnée. Et cette rencontre m'a beaucoup marqué. De la voir face à sa famille biologique, et l'impossibilité de vraiment communiquer les émotions très compliquées, dures, violentes, tristes et contradictoires qu'il y avait. Et j'ai gardé ça en tête.

Pas en me disant que j'allais en faire un film tout de suite. Ça aurait été trop prétentieux alors que je ne connaissais rien de la Corée. Mais je ne peux pas cacher avoir pensé que cette scène dans un film, ce serait quelque chose de très fort émotionnellement, que je n'ai pas l'habitude de voir et qui raconterait quelque chose de très fort. Et c'est ce que j'ai réactivé en 2017 après Diamond Island.

Il n'est pas possible de faire un film qui parle d'identité comme ça, avec une actrice qui n'est pas de la même origine que le personnage Ce retour à Séoul du titre, c'était aussi le vôtre du coup ?

Davy Chou : Non, je ne dirais pas ça comme ça. J'y suis retourné souvent ensuite. Quand on est cinéaste, on a la chance d'être souvent invité dans des festivals et, étant en partie basé au Cambodge, j'ai beaucoup eu l'occasion d'aller à Busan, parfois pour des projets que je présentais en tant que producteur. Et c'est vrai que j'ai développé un rapport d'affection pour la Corée du Sud, un pays dans lequel j'aime passer du temps et où j'ai pas mal d'amis.

Mais quand j'ai décidé de faire un film, c'est autre chose que de passer dix jours dans un festival, avec des festivaliers. Là j'ai vraiment dû travailler, passer plus de temps, faire des recherches, rencontrer des gens, qui avaient à la fois des expériences d'adoptés ou de centres d'adoption mais aussi, tout simplement, des souvenirs de la vie normale et de la société là-bas.

Comment vous êtes-vous rencontrés ? A-t-il été difficile de trouver l'interprète parfaite pour Freddie ?

Park Ji-min : Je ne sais pas si je suis l'interprète parfaite (rires)

Davy Chou : Elle cherche les compliments en fait, elle fait tout le temps ça (rires) De mon côté, le premier truc c'est que je voulais avoir une actrice asiatique, mais française et d'origine coréenne. Pas juste asiatique, car elle aurait aussi bien pu être chinoise ou japonaise. Cela peut passer pour des spectateurs, mais pour moi c'était niet. Connaissant la Corée et le Cambodge, ce sont des visages qui ne sont pas les mêmes par exemple.

Park Ji-min : Et ça n'est pas seulement physique. Il n'est pas possible de faire un film qui parle d'identité comme ça, avec une actrice qui n'est pas de la même origine que le personnage.

Davy Chou : Ça a été fait, mais cela pose une question et pouvait être un problème. Mais je voulais que ce soit quelqu'un d'origine coréenne. Et puis l'immigration coréenne est moins importante en France que l'immigration de cambodgiens, chinois ou viêtnamiens, en matière de chiffres. Donc c'était déjà un cercle plus circonscrit, et j'ai décidé de faire appel à des associations d'adoption de personnes ayant été adoptées en Corée.

Il y en a plusieurs en France et c'est par cet intermédiaire que j'ai rencontré pas mal de jeunes femmes nées en Corée qui avaient vécu une adoption. On a beaucoup discuté, j'ai beaucoup écouté leurs histoires. Ça a nourri le scénario, ou ça m'a permis de réfléchir à ce qui était juste ou pas dedans. Mais je n'ai pas trouvé de bonne personne, aussi, parce que, démographiquement, l'adoption internationale coréenne est une histoire qui concerne surtout les gens de ma génération, donc entre 35 et 45 ans, là où Freddie balaye de 25 à 33 ans dans le film.

Donc j'ai vu beaucoup de personnes plus âgées, avec un aspect plus marqué de la vie, ce qui m'empêchait de croire à la Freddie de la première partie, qui arrive jeune. Et c'est un ami qui est artiste, qui a lui-même été adopté en Corée par une famille française et qui, au cours d'une longue discussion que nous avons eue sur le film, son rapport à la Corée et l'adoption, m'a parlé de Ji-min qu'il connaissait bien et m'a conseillé de la rencontrer.

Ji-min n'est certes pas adoptée, mais il me disait qu'il y avait quelque chose, dans le personnage que je décrivais, qui semblait faire écho à ce qu'il connaissait d'elle. Donc on s'est rencontrés et, comme on le dit souvent, c'était une évidence. Mais vraiment. On s'est quand même vus plusieurs fois, pendant plusieurs phases de casting. Ça a duré, mais il y avait une intuition de mon côté qui ne s'est pas démentie.

Quand j'ai terminé le scénario de Retour à Séoul, j'ai été pris d'un vertige en me demandant quelle actrice allait pouvoir jouer ça Est-ce que vous avez vu en quoi vous correspondiez au personnage, comme on l'avait dit à Davy ?

Park Ji-min : Oui et non. Il y a des choses dans lesquelles je me suis, bien sûr, reconnue, par rapport à mon expérience et mon histoire. Même les émotions que Freddie pouvait ressentir, et ce avec quoi elle survit. Mais il y avait aussi des choses dans lesquelles je ne me reconnaissais pas du tout : je ne suis pas une personne adoptée, je suis née en Corée mais je n'ai vécu que huit ou neuf ans là-bas, donc ça n'est pas du tout mon histoire.

Davy Chou : Si je peux ajouter quelque chose de mon point de vue... Parfois on écrit un scénario sans penser à sa faisabilité, ce qui n'est pas très malin - d'autant plus que je suis producteur et suis censé avoir une vision de ce qu'on peut faire. Et quand j'ai terminé celui de Retour à Séoul, j'ai été pris d'un vertige en me demandant quelle actrice allait pouvoir jouer ça.

Il me semblait que c'était un rôle hyper dur, avec une grande précision des variations émotionnelles, parfois infinitésimales, parce qu'il y a toujours une opacité du personnage et, en même temps, quelque chose de très fort qui remue en elle. Il y a aussi, parfois, le côté extrême des émotions qu'il faut savoir jouer, entre la très grande vulnérabilité et fragilité du personnage à un certain moment.

Park Ji-min : Et ses contradictions. Ses paradoxes.

Davy Chou : Ses convictions aussi. Et sa grande colère, qui peut se transformer en brutalité, voire en violence - parfois les deux en même temps. Comment jouer ça alors ? Comme je savais que j'avais un profil de personnes d'origine coréennes plutôt limitées, je me disais que j'avais écrit un scénario, ok, mais allais-je trouver la personne ? Donc quand Ji-min parle des similitudes, ou pas, moi je sais que, très vite, avant même de faire des essais, nous avons beaucoup parlé ensemble.

Park Ji-min : On a pris des cafés ensemble pour discuter de nos vies, de nos expériences respectives. Et on a vraiment été très étonnés de voir qu'il y avait des points forts en commun avec le personnage de Freddie.

Davy Chou : Et notamment sur la question des émotions. Ça ne s'est pas démenti sur le tournage, bien au contraire : toutes les émotions qui avaient été écrites dans le scénario, et dont je n'étais pas sûr que quelqu'un pourrait les jouer, Ji-min les a dépassées, explosées. Elle a touché juste à chaque fois, et c'était un cadeau du ciel.

Ces discussions entre vous ont-elles fait évoluer le personnage ?

Davy Chou : Beaucoup ! C'est un scénario que j'ai écrit pendant, environ, trois ans, en me basant sur l'histoire de mon amie. Et quand je lui ai dit que je comptais m'inspirer d'elle pour faire un film, elle m'a décrit beaucoup de détails. Et beaucoup d'éléments liés à son histoire avec la Corée se retrouvent dans le film, même si tout a été re-mélangé avec la fiction. J'y ai aussi mis des choses personnelles.

Et quand, avec Ji-min, on s'est dit qu'on ferait le film ensemble et qu'elle a accepté ma proposition de jouer dedans, on a fait une préparation "dure" pendant trois mois avant de partir en Corée pour le tournage, afin de faire des répétitions. Sur mon précédent film, je n'avais travaillé qu'avec des non-professionnels et j'avais fait beaucoup de répétitions.

Car c'est ça qui permet de faire marcher le truc : pas forcément de répéter techniquement mais d'installer un climat de confiance. Entre les acteurs et moi, et pour que les acteurs aient confiance en eux ou les uns envers les autres. C'est dans ces conditions que l'on peut faire quelque chose, à mon avis. Donc j'avais cette idée, surtout pour Ji-min, qui est de toutes les scènes, pratiquement tous les plans et a beaucoup de choses à jouer. Ça demandait beaucoup de préparation, mais elle a complètement changé mes plans.

Beaucoup de choses lui posaient question et elle a voulu qu'on en discute. Et nous avons eu de nombreuses et longues discussions, réunions et sessions de travail ensemble, où elle me posait des questions sur les scènes, et les choix de dialogues, de comportement du personnage, sur son rapport à la féminité ou au personnage masculin principal. Ou sur les autres personnages asiatiques. Tout a été sujet de discussion et de re-questionnements sur ce que le scénario pouvait porter de clichés et de reproductions d'une vision qui est la mienne.

Park Ji-min : Le male gaze !

Le fait que deux personnes me disent que des scènes posaient problème m'a forcé à en prendre conscience Davy Chou : Je ne suis pas une femme, ni un Coréen, ni même quelqu'un d'adopté. Donc j'ai fait de mon mieux à l'écriture et je me suis retrouvé avec quelqu'un qui avait une autre expérience que la mienne. Pas celle de Freddie non plus, mais celle d'une femme racisée française. Ou vivant en France. Et c'est quelque chose qui m'a bouleversé et à laquelle il fallait pouvoir répondre. Mais j'ai senti que Ji-min aurait pu quitter le projet si elle n'avait pas les bonnes réponses.

Park Ji-min : S'il n'y avait pas eu tout ça... En tant que créateur ou créatrice, il est dur de lâcher je prise. Je suis moi même artiste-plasticienne donc je créé des œuvres - ou des choses on va dire. C'est ma création et c'est dur de lâcher prise, de prendre du recul. Si Davy ne l'avait pas fait pour me donner de l'espace, parce que c'était nécessaire, je n'aurais pas pu le faire. Je n'aurais pas pu incarner cette personne, et j'aurais presque eu honte.

Davy Chou : Mais c'est vraiment le mot, "lâcher prise". Je ne l'aurais pas dit comme ça, mais c'est exactement ce qu'il s'est passé. Au départ on débattait, et je trouvais ça bien. Mais je me rendais compte que c'était finalement juste un combat pour gagner et te convaincre que j'ai raison. Cela fait qu'on arrivait à de plus en plus de tensions au lieu de trouver un terrain d'entente.

Et j'ai compris que ce débat, que je pensais justifié, n'était pas n'était pas l'attitude à suivre. Au contraire, il fallait ouvrir le scénario et écouter Ji-min. Ou même Guka Han, qui joue Tena, et qui est arrivée avec les mêmes questionnements. Le fait que deux personnes me disent que des scènes posaient problème m'a forcé à en prendre conscience.

Park Ji-min : Au niveau du système de pouvoir aussi. Il faut que, à un moment, les gens qui ont le pouvoir dans un système lâchent prise sur les choses pour laisser la place aux gens qui n'ont pas souvent la parole, aux minorités. Qu'un dialogue se créé et que la porte s'ouvre pour qu'il y ait une porosité entre ces deux mondes. Ça a été fait dans la douleur, même pour moi, car c'était un énorme travail de déconstruction. Mais sans ça, je n'aurais pas pu faire le film.

Davy Chou : Après je ne sais pas si nous y sommes complètement parvenus. Car ce sont des choses à remettre au travail tous les jours, et il est très facile de revenir à ces positions de pouvoir au quotidien. Sur un plateau, c'est moi qui décide à chaque fois et on me demande tout le temps mon avis. Et comme elle n'avait pas l'expérience de jouer, malgré cette préparation, on s'est retrouvés à nouveau dans des situations un peu difficiles. On a fait un très long développement, pardon (rires)

Il faut que les gens qui ont le pouvoir dans un système lâchent prise sur les choses pour laisser la place aux gens qui n'ont pas souvent la parole, aux minorités Cette notion de lâcher prise, on la retrouve dans la scène de danse dans le bar, qui est absolument magnifique, en plus d'illustrer l'importance de la musique dans le film. Est-ce que vous avez besoin de musiques pour écrire ou diriger sur le plateau ?

Davy Chou : Eh bien ça, ça illustre les changements qu'on a faits. A l'écriture, ça devait être "Viens je t'emmène" de France Gall. Ça aurait été une danse très différente maintenant qu'on connaît le film (rires)

J'essaye de visualiser la même danse sur une autre chanson, et c'est pas facile.

Davy Chou : (rires) Et là Ji-min m'a demandé pourquoi on mettrait cette chanson. J'ai répondu qu'elle m'avait accompagné pendant l'écriture du film, mais que je n'avais pas de meilleure réponse. Mais Ji-min a questionné le symbole de cette chanson française que son personnage mettrait dans ce bar vintage coréen en résistance à ça. Donc les choses ont fini par bouger.

Pas tant par rapport à ces questionnements que vis-à-vis des répétitions. Pour que les acteurs lâchent prise, j'aime faire des essais différents. Parfois en mettant de la musique, ce qui m'a permis de voir comment Ji-min dansait, car nous n'étions jamais allés en boîte ensemble. Et quand je l'ai vue danser sur des musiques un peu rythmées, un peu à l'instar de ce qu'on voit à l'écran, c'est là que j'ai switché.

J'ai compris que je voulais juste la filmer dans ce moment-là. Car la danse était pour elle un moment total, de libération de tout. Quand on a préparé la scène, je l'avais filmée avec mon petit caméscope. Et j'ai ensuite montré les images aux chef opérateur, en lui disant que je voulais retrouver ça, et qu'il fallait inventer un système pour choper ce qu'on avait eu pendant les répétitions. Et je te laisse maintenant parler de ton rapport à la danse.

Park Ji-min : La danse, c'est effectivement le moment où je lâche prise sur tout. Et je me sens plus libre. Parfois je rentre en transe quand je danse, parce que je peux danser pendant assez longtemps, sans m'arrêter.

Davy Chou : Et "assez longtemps", ça veut dire quarante-huit heures sans s'arrêter. C'est de ça dont on parle. Pas trois ou quatre heures.

Park Ji-min : Quand je rentre en transe, je me dis que je pourrais mourir à l'instant T, tellement je suis heureuse. Plus rien n'existe d'autre, je suis vraiment ailleurs. C'est aussi quelque chose de vital, qui me fait vivre. Ça fait partie de moi.

Davy Chou : Et pour moi, la place de cette scène dans le film - et en lien avec ce que dit Ji-min - c'est que le personnage est oppressé dans la première partie, qui va très vite. Au départ, on a un personnage qui se dit libre et qui se retrouve subitement dans une situation où cette liberté est de plus en plus contrainte. Elle se retrouve à subir des événements qui sont presque plus imposants qu'elle, surtout quand elle rencontre sa famille biologique.

Et dans ce bar vintage, elle se sent aussi oppressée par ce jeune garçon qui a l'air d'avoir de bonnes intentions, mais qui lui assigne son identité et définit les choses pour elle. Et cette danse est là pour absolument tout exploser. Comme une sorte de libération cathartique. Et c'était pour moi un moment hyper important du film.

Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Cannes le 23 mai 2022

publié le 25 janvier, Maximilien Pierrette, Allociné

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