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"Les gens ne vont plus au cinéma voir des petits films" : le réalisateur de 1917 revient en salles avec Empire of Light

Trois ans après le tour de force de "1917", son film de guerre en plan-séquence, Sam Mendes est de retour. Au calme et de le cadre plus intimiste d'une salle de cinéma, coeur de son "Empire of Light" sur lequel il revient avec nous.

Il a réussi à réinventer James Bond dans Skyfall avant de signer l'une des expériences cinématographiques les plus fortes de ces dernières années grâce à 1917, film de guerre en plan-séquence récompensé par trois Oscars, dont celui de la Meilleure Photographie remis à Roger Deakins.

Le chef opérateur que l'on retrouve dans Empire of Light, son nouveau film plus intimiste, où il est également question de cinéma. Et notamment de la salle, que ce drame met en valeur à travers cette romance entre les personnages joués par Olivia Colman et Micheal Ward. Plus qu'une lettre d'amour au 7ème Art, une plongée dans les souvenirs de Sam Mendes, qui évoque avec nous cet opus très personnel.

AlloCiné : La crise que traverse l'industrie du cinéma depuis le début du Covid a-t-elle eu une influence sur ce film, le premier que vous avez écrit seul ?

Sam Mendes : Une influence énorme oui. Lorsque je l'ai écrit, pendant le confinement, nous étions inquiets car nous pensions qu'il allait disparaître. Qu'il n'y aurait plus de cinéma du tout. Qu'il ne soit même pas dans sa situation actuelle. Beaucoup des problèmes que nous avons traversés à cette époque se sont mis à flotter jusqu'à la surface de ce film : la recrudescence de maladies mentales, les discussions autour des questions raciales qui ont lieu dans le monde - avec Black Lives Matter notamment.

Ou encore la question de savoir si les films allaient pouvoir continuer de vivre dans de gros cinémas, et où tout ceci allait aller. Tout était là. Et tout est encore là. C'est moins le cas en France, mais le cinéma est toujours en crise dans le monde. Ou plutôt dans une forme de crise : les gens vont toujours au cinéma, mais ils ne voient qu'un plus petit nombre de films, uniquement des gros gros films. Les gens ne vont plus au cinéma, ou presque, pour voir des plus petits films, des films de budget moyen ou des projets personnels. Ils attendent leur passage à la télévision.

Car les choses vont vite et la bascule se fait parfois en l'espace de deux ou trois semaines. Et les gens se demandent pourquoi payer alors qu'ils ont déjà payé leur abonnement [à une plateforme de streaming]. Pourquoi aller dehors et risquer quelque chose au lieu de rester à la maison. Surtout que le changement s'est produit, et que je ne nous vois pas revenir en arrière.

Hilary, que joue Olivia Colman, est librement inspirée de ma mère, qui a lutté contre la maladie mentale pendant toute sa vie "Empire of Light" se déroule au début des années 80 en Grande-Bretagne et paraît immédiatement très personnel. Combien de vous-même et de votre passé avez-vous mis dedans ?

Le film est très personnel. Hilary, que joue Olivia Colman, est librement inspirée de ma mère, qui a lutté contre la maladie mentale pendant toute sa vie. Mon adolescence a eu lieu pendant les années 80, et c'est là que mes goûts musicaux et cinématographiques se sont formés. J'ai des souvenirs très précis de cette époque et notamment de la culture populaire. C'est aussi là que mes opinions politiques se sont forgées, avec Margaret Thatcher, le taux de chômage élevé, le racisme, les émeutes dans les rues...

On retrouve de tout cela dans Empire of Light. Et il se déroule dans un monde qui m'est personnel, mais il n'est pas directement autobiographique, car aucun des personnages ne me représente. Mais il n'en est pas moins personnel à mes yeux, à cause des éléments qu'il contient.

Les réalisateurs ont coutume de dire qu'ils font chaque film en réaction au précédent. Avez-vous fait "Empire of Light" par opposition aux gros films qu'étaient "Skyfall", "007 Spectre" et "1917" ?

Oui. Lorsque vous travaillez à grande échelle, cela peut être très fatigant et demande beaucoup de temps. Vous avez parfois envie de quelque chose de plus léger, de plus rapide à faire. Où le trajet qui mène du scénario à la salle de cinéma est plus court. Donc il y avait quelque chose de réactionnel oui.

On sait qu'on peut obtenir un certain budget lorsque l'on a connu un succès commercial. Donc je me suis dit que je pouvais en profiter pour aller faire un film qui ne soit pas aussi ouvertement commercial, qui ne peine pas à attirer un public large. Mais il ne s'agit pas d'un accident. Tout au long de ma carrière, j'ai fait des plus petits films, tels qu'American Beauty ou Les Noces rebelles. J'ai de la chance de pouvoir encore en faire, et j'ai envie de faire des allers et retours entre les deux.

"Empire of Light" est le premier film que vous avez écrit seul. Le premier dont le personnage principal est une femme. Et il y a même du changement au niveau de la musique, où Thomas Newman est remplacé par Trent Reznor et Atticus Ross. Le considérez-vous comme une sorte de nouveau départ, basé sur l'expérience acquise sur de plus gros projets ?

On veut toujours essayer de se secouer. C'est en tout cas ce que j'essaye de faire : de me sortir de mes habitudes. Ce qui passe parfois par le fait de travailler avec des nouvelles personnes. Ou essayer quelque chose de nouveau, comme écrire. Y a-t-il de meilleurs auteurs que moi ? Oh oui ! (Rires) Mais ça ne veut pas seulement dire essayer de choses qu'il serait difficile de trouver si je travaillais avec un autre scénariste.

C'était quelque chose de nouveau. Je me suis rendu vulnérable à nouveau, mais d'une façon différente. Ça permet de vous réveiller et de ne pas répéter des schémas. Et c'est ce pour ça que cela m'attire.

Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 11 janvier 2023

publié le 1 mars, Maximilien Pierrette, Allociné

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