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Jean Dujardin sur les chemins de Sylvain Tesson : "Il en faut du courage pour rester 8 ou 9 heures seul avec soi-même"

Quelques mois après "Novembre", Jean Dujardin est de retour sur nos écrans avec le drame de Denis Imbert, "Sur les chemins noirs", librement inspiré du livre de Sylvain Tesson. Rencontre avec un acteur qui sort des sentiers battus.

Dans Sur les chemins noirs, Jean Dujardin incarne Pierre, un écrivain explorateur qui, un soir d'ivresse, fait une chute de plusieurs étages. Cet accident le plonge dans un coma profond. Sur son lit d'hôpital il se fait la promesse de traverser la France à pied du Mercantour au Cotentin. Un voyage unique et hors du temps à la rencontre de l'hyper-ruralité, de la beauté de la France et de la renaissance de soi.

Le long-métrage de Denis Imbert est librement inspiré du roman homonyme de Sylvain Tesson qui retrace le parcours de l'écrivain après son accident et son voyage à travers la France afin de se réapproprier son corps.

Un film fort et bouleversant qui plonge le spectateur dans l'esprit de cet homme dont la vie à basculé et qui agit comme un miroir, nous renvoyant à nos propres questionnements.

A l'occasion de la sortie du film ce mercredi, AlloCiné a pu s'entretenir avec Jean Dujardin. Rencontre.

AlloCiné : Au moment de la sortie de The Artist, on se demandait à quoi ressemblait le scénario d'un film muet. Sur ce film, on s'interroge également sur le scénario et sur la préparation d'un voyage d'intériorité...

Jean Dujardin : En fait, on ne prépare pas. Pour le coup, sur celui-là, je savais qu'il fallait que je sois très disponible. J'ai ressenti un truc en le lisant. Sylvain Tesson est un aventurier, explorateur, écrivain. Mais il se trouve qu'à chaque fois qu'il nous invite dans un de ses récits, on marche à côté de lui, on a l'impression d'être là.

Ça, je l'ai ressenti très fort dans le récit, je l'ai ressenti dans la lecture du roman. Donc je ne voulais pas préparer. Je voulais être très disponible pour l'environnement.

Je voyais la montagne de Lure par exemple. Il y a de la pente. Je vais aller dedans. Parce que je savais qu'il y aurait de l'effort. Mon corps dirait encore autre chose. A un moment, je pète les plombs, j'ai une douleur à la jambe que je m'invente. Je dis à l'équipe « Ne coupez jamais, il va se passer peut-être un truc, je ne sais pas quand ».

Et puis je gueule et je jette mes bâtons et puis j'en ai marre, j'en ai marre, j'en ai marre. Aujourd'hui, j'en ai marre, j'en suis à quatorze kilomètres et j'en ai déjà marre. Et ça veut dire quelque chose. Je cherchais, je traquais des émotions comme un spectateur du propre film que j'étais en train de faire. Je savais qu'il se construirait pendant le tournage.

Eviter de faire un copier-coller de Sylvain Tesson

Ce que j'ai fait avant, c'est évidemment lire le scénario, parler au réalisateur Denis Imbert, bien sûr. Mais j'avais déjà l'impression que cette histoire serait mienne, et peut être moins celle de Sylvain Tesson.

Déjà parce que j'avais décidé d'aller le voir en évitant de faire un copier-coller, de l'avatariser, de le singer. Je trouvais ça gênant, bête, premier degré. On n'est pas dans cette prouesse-là. Évoquer la douleur physique, d'accord, elle est là, on a vu. Mais c'est la douleur morale qui m'a intéressé.

C'est presque un chemin de rédemption, même si lui, je pense, s'en défend. Il voit ce film finalement comme une continuité de son œuvre. C'est la porte dérobée. C'est la possibilité de la fuite.

C'est le voyage pour quitter le grand vacarme, s'éloigner des villes, retrouver cette liberté et cette contemplation. Se faire plaisir, peut-être, pour la première fois. C'est ça qu'il est en train de nous dire dans ses récits. Ça, ça me plaisait fort et c'est un fantasme d'homme que j'ai aussi.

Et vous aviez conscience qu'au-delà du cheminement de Sylvain Tesson, du cheminement du personnage et de votre propre cheminement aussi, peut-être, le film tendait un miroir au spectateur ? Quand on entre dans le film, il y a ce sentiment de marcher avec lui, avec vous, et de vivre cette introspection.

Jean Dujardin : Ah oui ? Tant mieux. Ce n'est pas ce qu'on cherche, mais en tout cas, les quelques retours que j'ai eu ressemblent à ça. « Pendant dix minutes, j'étais un peu loin du film, je suis rentré en connexion avec ma mère, avec moi, avec un vieux désir, un truc inassouvi, et puis je suis revenu dans le film et j'ai bien aimé ces allers-retours ».

"Il y a des films qui ressemblent à des méthodes de vie"

Parfois, on demande au cinéma d'avoir une autre fonction, de nous sortir de notre quotidien. Emmène-moi deux heures. Fais-moi rêver. Et il y a des films qui peuvent donner parfois d'autres indications ou qui peuvent ressembler à des méthodes de vie...

J'y repense en même temps, parce qu'évidemment ce sont des questions. On répond à des questions que je ne me suis pas posées en étant sur le chemin. Je ne voulais pas me les poser. Je voulais que l'eau fraîche soit fraîche. Je voulais que le morceau de bois se casse dans mes mains.

Quand je faisais du feu, j'entendais ces bruits de cailloux. Quand je faisais du feu, je prenais le temps de le faire. Quand je faisais cramer ce bout de saucisson qui va me brûler la langue... Je m'offrais des sensations très simples, mais comme une belle ordonnance médicale en fait. De 1h29.

Il faut du courage pour partir seul comme ça. Pas pour partir sur les chemins, mais pour rester huit ou neuf heures seul avec soi-même. Ça, c'est pas simple.

Et paradoxalement, sur un tournage comme celui-ci, vous jouez quelqu'un qui est seul mais qui n'est pas tout à fait seul puis qu'entouré par une équipe, même réduite.

Ça c'est un truc qu'on éteint je pense. C'est un truc d'acteur. On a un peu l'habitude. Au début, on est évidemment très à l'affût de ce que va ressentir l'ingénieur du son. On s'excuse presque de faire ce métier. On n'a pas bien compris le jeu. Le jeu, c'est de s'enfermer, de s'enfermer entièrement en soi tout en étant évidemment disponible pour une équipe.

C'est comme un double cerveau. C'est à dire que vous entendez les indications d'un metteur en scène, mais vous êtes encore en vous. Vous le voyez d'ailleurs sur les visages. Moi, j'adore regarder les visages de mes partenaires, ils ont souvent ça : ils écoutent les indications et le moteur demandé, mais ils sont déjà ailleurs. Là, c'était encore différent, parce que c'était vraiment très sensoriel. Vraiment, une géographie m'a amené mon jeu.

Il y a eu ces moments imprévus dont vous parlez, guidés par la géographie. Et peut-être des choses qui ne sont pas dans le montage final. Qu'avez-vous ressenti en voyant le film terminé pour la première fois ?

Je savais qu'il avait une durée savante qui n'a pas été forcément trouvée au départ. C'est le risque de ce genre de film : que ce soit un beau film, mais pas un bon film.

Le beau film, on s'en fout un peu. S'il est beau, c'est un peu la moindre des choses : on a posé une caméra, la France est très jolie, il n'y a pas un grand mérite... Et puis d'un coup, il a sa durée. Et là, en le voyant, je me dis que tout est en place : quand j'ai besoin de prendre l'air, ça prend l'air ; quand je suis dans le dos et dans le sac à dos, c'est en place ; le souvenir n'est qu'un flash et il vient juste ponctuer ou donner une indication mais ne m'emmène pas loin.

Donc j'avais l'impression qu'il y avait eu une espèce de réglage qui s'était opéré... Un bon montage, c'est sa durée. Donc j'étais assez content et je n'ai plus pensé à tout ce qu'on avait fait et qui n'était pas dans le film. Je me suis dit tout était en place. C'est comme ça qu'on devait le raconter. Il n'y avait qu'une seule direction. Il y a sûrement une autre façon de le monter, mais en tout cas, celle-ci me satisfaisait.

Et sachant qu'au départ, un tel projet repose sur une vraie relation de confiance avec le réalisateur, et dans sa vision. Car au final, ça n'aurait pu être que Jean Dujardin qui se balade dans une jolie carte postale et ça n'aurait intéressé que vos proches.

Ou pas plus. Ce qu'on pense encore toujours, hein. Il ne faut pas se dire qu'on est arrivé. Mais au moins je l'ai fait honnêtement, je l'ai fait sincèrement. Il n'y a pas de posture dans ce genre de projet. On pourrait se dire « je vais faire un tout petit film où je marche et je vais en chier ». Non.

"Fais comme si ce film ne devait pas être monté"

Moi, j'ai un rapport très intime avec ce métier, avec la nature, avec ses bienfaits, avec ce que être important pour moi dans mon équilibre. Et Denis, par ses silences aussi, m'a laissé cette possibilité-là. Une possibilité de proposer, en me donnant un écrin, le décor -parce que c'est quand même un décor merveilleux, vraiment-, et puis ensuite de me laisser dans mon isolement.

Je crois que c'est un truc qu'on s'est dit sans se le dire d'ailleurs. Ça devait se faire comme ça. Un peu comme si ce film ne serait jamais monté, en fait. Ça, c'est assez confortable aussi.

C'est un conseil que je donne des fois à des acteurs qui angoissent. Fais comme si le film ne devait pas être monté : une journée après l'autre, une scène après l'autre, fais comme si ce film ne verrait jamais le jour. Parce que c'est là que tu peux faire des exploits. C'est là que tu peux faire des choses folles.

publié le 22 mars, Yoann Sardet, Allociné

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