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"Je n'avais pas anticipé la réaction hostile au titre de notre film" : Sarah Polley se confie sur Women Talking

Rencontre avec Sarah Polley, réalisatrice de Women Talking, en lice pour l'Oscar du meilleur film. Ce drame intense et très actuel est à voir au cinéma ce mercredi. Découvrez notre entretien en vidéo, et en version longue à l'écrit.

De quoi ça parle ?

Des femmes d'une communauté religieuse isolée luttent en 2010 pour réconcilier leur foi et leur réalité quotidienne.

De passage à Paris, il y a quelques jours pour la promotion du film, Sarah Polley s'est entretenue avec AlloCiné. Découvrez notre entretien en vidéo, et dans une version plus longue ci-dessous.

AlloCiné : En quoi l'histoire de ce livre que vous avez adapté résonne en vous ? Et en quoi, selon vous, peut-elle résonner pour le public qui va découvrir le film ?

Sarah Polley : J'ai lu le livre Ce qu'elles disent (Women Talking) de Miriam Toews quand il est sorti. J'ai été captivée par les questions que le livre soulève, et le débat qu'il créé. Il pose plein de questions sur la foi, le pardon, et cette idée d'une démocratie radicale. D'avoir ce groupe de personnes en désaccord sur des sujets fondamentaux qui se retrouvent à échanger tous ensemble jusqu'à ce qu'ils en viennent à une forme de conclusion, un consensus. Cela me semblait porteur d'optimisme, et de savoir identifier des blessures. La question qui se pose est : quelle est l'alternative, et comment y arriver en tant que communauté ?

Le film est intéressant car il y a de vrais partis pris artistiques. Il y a ce choix, par exemple, de couleurs désaturées, qui rendent le film complexe à situer dans le temps, comme si cette histoire était intemporelle. Pouvez-vous nous parler des choix que vous avez opéré en tant que réalisatrice et scénariste ?

Depuis le début, je considère Women Talking comme un film épique, donc même s'il s'agit d'une conversation contenue, je savais qu'il fallait lui donner une certaine portée, une certaine étendue. Je voulais qu'on ressente aussi l'espace par les paysages. Nous avons tourné avec un certain ratio cinématographique. Il y a une certaine idée de largeur qu'il s'agisse du monde extérieur, mais aussi dans le grenier à foin, où a lieu cette conversation.

Dans mon esprit, il y avait presque cette idée de capturer un truc un peu du cinéma des années 50. Si vous voyez quelqu'un en gros plan, vous en voyez un autre presque en même temps, pour qu'il y ait constamment une connexion. Il devait aussi y avoir des mouvements de caméra un peu musclés, qu'on n'allait pas simplement se reposer sur les acteurs. Dans mon esprit, il y avait presque cette idée de capturer un truc un peu du cinéma des années 50. Mais au final, ce n'est pas ça. C'est plus cette idée du collectif, cette conversation. Mais je crois que je voulais du poids à cette conversation. Il s'agit quand même d'une conversation où il est question de briser un monde pour en créer un nouveau, donc je ne voulais pas être timide sur cet aspect, et annoncer les choses.

Est-ce que cette sensation de ne pas savoir quand cette histoire se situe était important pour vous ?

Je crois que j'ai toujours envisagé le point de départ du film comme une fable. Tandis que les événements qui se trament en arrière plan sont véridiques, qu'ils ont réellement eu lieu, dans une colonie en Bolivie, le point de départ du livre est fictionnel, l'idée de cette conversation qui a lieu.

j'avais cette envie qu'on ressente l'esprit d'une fable et de ne pas ressembler à un docu-drama. Donc j'avais cette envie qu'on ressente l'esprit d'une fable et de ne pas ressembler à un docu-drama. Je savais que le film devait être un indicateur de ça d'une certaine façon, d'une forme de réalité augmentée, et dans la conversation elle-même, il y a cette réalité augmentée. J'étais très intéressée par l'idée d'une carte postale dont l'image aurait un peu terni. Le fait d'engager cette conversation est déjà en train de changer le monde de ces femmes. La narration nous raconte le film depuis le futur et nous fait revenir dans le passé. Je voulais donner une image du passé.

Un autre parti pris du film est d'évoquer des violences, des agressions sexuelles, mais sans jamais les montrer. Pouvez-vous nous expliquer ce choix ?

Je ne pensais pas que ce serait utile de montrer les agressions sexuelles. Ce film parle de comment on va de l'avant, et les uns avec les autres, et d'aller vers autre chose. Cela ne me semblait pas important de montrer les détails de ces agressions sexuelles.

Il est important d'être conscient de pourquoi et comment on représente les violences Je pense aussi que c'est très compliqué de les représenter à l'écran, sans les fétichiser, ou en les rendant sensationnalistes, ou de faire quelque chose qui n'est pas intentionnel. Pour moi, il est important d'être conscient de pourquoi et comment on montre ça. Non pas pour dire qu'on ne devrait jamais les représenter. Mais il doit y avoir une raison, et dans ce film, il ne semblait pas y avoir une bonne raison.

Le film est adapté du livre éponyme Women Talking, paru sous le titre français Ce qu'elles disent. Avez-vous envisagé un autre titre que Women Talking, ou s'est-il imposé dès le départ ?

Je n'ai jamais envisagé de changer le titre, mais ça a été une expérience vraiment intéressante de vivre avec ce titre. Par exemple, j'ai dû faire beaucoup de trajets vers les Etats-Unis pour promouvoir le film. Et à chaque fois qu'on arrive, on nous demande : ' - que venez-vous faire ici ?' ' - Je suis là pour promouvoir un film, le film Women Talking'.

Ce n'est pas Women Shouting, Women Fighting, c'est juste Women Talking ! A chaque fois, au moment de passer la douane, si c'était un homme, j'avais droit à un : 'eurk ! On n'a pas besoin de ça !' C'était une réaction viscérale. Ce n'est pas Women Shouting, Women Fighting, c'est juste Women Talking. Cette expérience est une telle confrontation. Cela a été intéressant de vivre avec ce titre.

Nous n'avons jamais envisagé de le changer, et probablement je ne le ferais pas aujourd'hui non plus. Mais je n'avais pas anticipé la réaction hostile à ce titre. Mais c'est intéressant parce qu'un titre comme 12 hommes en colère, personne ne se sent affronté par ça, mais Women Talking, c'est trop !

Avez vous eu l'opportunité d'échanger avec un public masculin sur ce film justement ?

Cela a été une très bonne expérience de parler à la fois aux hommes, aux femmes, au public trans. Il y a beaucoup de gens qui ont vu le film qui ne s'identifient pas comme des femmes, qui ont très bien réagi au film, et ont été émus. Chez les hommes, ce sont d'ailleurs plutôt les jeunes qui ont aimé, ce que je trouve particulièrement intéressant. Les réactions les plus touchées, bouleversées sont venus de jeunes hommes, ce qui est intéressant et a été une surprise.

Dans le film, il y a un personnage trans. Etait-ce déjà présent dans le livre que vous avez adapté, et en quoi était-ce important pour vous ?

Dans le livre, il y a une allusion, mais ce n'est pas aussi clair que dans le film que le personnage est trans. Dans le film c'est important car ça se voit et ce n'est pas juste à travers le personnage d'August, d'en faire un personnage vraiment trans. C'était important pour moi. On peut être vraiment rigide dans les conversations sur le genre. C'était dans le livre, et ça faisait sens d'en faire un personnage plus riche et plus profond.

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Avant de réaliser des films, vous avez commencé à être actrice très jeune. Est-ce que cette expérience vous nourrit encore aujourd'hui ?

Oui ça a un impact d'avoir été une actrice. Cela change les choses, avant tout dans le type d'environnement de travail que je cherche à créer. Je me suis beaucoup concentrée sur le type d'ambiance de travail que je voulais, de protéger, que les gens se sentent bien et en confiance, d'ouvrir un dialogue. J'ai fait très attention à la question du soin apporté à chacun sur le tournage, qui pour moi, en tant qu'actrice, a toujours été d'une grande aide.

Propos recueillis par Brigitte Baronnet à Paris le 10 février 2023

publié le 8 mars, Brigitte Baronnet, Allociné

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