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Il y a 64 ans, Jean Gabin avait déjà tout compris en livrant un fabuleux discours dans cet extraordinaire film

© Cité Films

Sorti en 1961, servi par d'extraordinaires dialogues ciselés par Michel Audiard au service d'un Jean Gabin plus tribun que jamais, "Le Président" évoque au gré de répliques féroces des thématiques qui résonnent plus que jamais aujourd'hui.

Le cinéma français a toujours été avide de dialoguistes brillants. Après Jacques Prévert et Henri Jeanson, Michel Audiard a su imprimer très profondément une patte inimitable, qui reste d'ailleurs absolument inégalée aujourd'hui. Dans un extraordinaire mélange de gouaille et un sens de l'observation sociale capable de pousser très loin et très profond, Audiard typait ses personnages comme personne.

Ciselés, saignants, parfois trempés dans l'acide... Ses dialogues étaient entièrement au service de ses talents. Parmi eux, sa collaboration avec Jean Gabin fut absolument exceptionnelle. "On dit que je faisais parler Gabin; ce n'est pas vrai, Gabin avait un merveilleux langage dans la vie" racontera Audiard dans une entretien accordé à la revue Cinématographe. "Quand on a parlé plusieurs fois avec un acteur, on sent bien la tournure de son langage, son tempo, ses silences le cas échéant..."

Un film incroyablement prophétique

En 1960, Audiard met sa plume au service du film Le Président, réalisé par Henri Verneuil. Adaptée d'un roman de Georges Simenon publié en 1958, cette politique fiction - l'une des rares du cinéma Français - aborde de manière prophétique des questions plus que jamais d'actualité : Europe, courage politique, honnêteté des élus, influences des puissances économiques et intérêt général...

Le Président, c'est donc Jean Gabin, alias Émile Beaufort, ancien président du Conseil. Il a beau s'être retiré de la vie politique, il n'en demeure pas moins une figure influente auprès de toute une génération. C'est notamment le cas de Philippe Chalamont, son ancien directeur de cabinet (merveilleusement incarné par Bernard Blier), qui a demandé à s'entretenir avec lui. Émile Beaufort se souvient...

Si le modèle de Simenon pour son personnage de vieil homme politique à la retraite a été Georges Clémenceau, on songe surtout à de Gaulle. Emile Beaufort n'est pas un militaire, mais il partage avec le général l'amour de son pays et la volonté de croire que seuls des purs méritent de le servir.

"La Politique, messieurs, devrait être une vocation. Mais pour le plus grand nombre, elle est un métier"

Dans Le Président, les répliques fusent comme des balles traçantes. Tel cet agriculteur s'adressant à Gabin : "On est gouverné par des lascars qui fixent le prix de la betterave, et qui seraient pas foutus de faire pousser des radis". Ici, cet échange entre un député et le président : "Quand on ne veut pas du pouvoir, on le refuse : on peut très bien vivre dans l'ombre... ‒ Et ne jamais en sortir, vous en savez quelque chose !"

Ailleurs, Beaufort se souvient d'un Conseil des Ministres très agité. Son Ministre des Finances prend la parole et présente le projet de dévaluation de la monnaie, tandis que chaque Ministre s'insurge contre cette idée...

"Je ne vous apprendrai rien Messieurs, en vous rappelant que la plupart des grands pays du monde l'Angleterre, l'Amérique, Le Japon, la Suède, l'Autriche, ont dévalués leur monnaie. Les gouvernements qui nous ont précédé ont conduit le pays à la paralysie économique sous prétexte de respecter une orthodoxie financière à laquelle le grand capital est fortement attaché".

Lorsque Chalamont lui fait part, des années plus tard, de son envie de briguer la présidence du Conseil en se prétendant non pas meilleur que les autres, mais pas plus mauvais, Gabin lui lâche un cinglant : "Voilà ce que vous souhaitez pour votre pays : un homme pas plus mauvais qu'un autre. Mais, quand on a cette ambition-là, on ouvre un bazar, on ne gouverne pas une nation !"

Encore un petit florilège ? "Entre l'intérêt national et l'abus de confiance, il y a une marge" - "Il faut prendre la démocratie comme elle est, cette démocratie dont un grand homme politique a dit qu'elle était le pire des régimes, à l'exception bien entendu de tous les autres".

L'acmé du film, c'est bien entendu l'extraordinaire monologue de Beaufort-Gabin, prononcé à l'Assemblée Nationale. Alors que l'opposition, emmenée par Chalamont, torpille son projet Européen, le vieux renard de la politique tire sa révérence au terme d'un discours d'anthologie sur sa vision de la politique. Initialement, le discours devait être tourné en un seul plan-séquence. Mais, paniqué par la longueur du texte, Gabin refusera ce dispositif.

Le revoici...

"La politique, Messieurs, devrait être une vocation... Je suis sûr qu'elle l'est pour certain d'entre vous... Mais pour le plus grand nombre, elle est un métier. Un métier qui ne rapporte pas aussi vite que beaucoup le souhaiteraient, et qui nécessite de grosses mises de fonds car une campagne électorale coûte cher !

Mais pour certaines grosses sociétés, c'est un placement amortissable en quatre ans... Et pour peu que le protégé se hisse à la présidence du Conseil, alors là, le placement devient inespéré ! Les financiers d'autrefois achetaient des mines à Djelitzer ou à Zoa, et bien ceux d'aujourd'hui ont compris qu'il valait mieux régner à Matignon que dans l'Oubangui et que de fabriquer un député coûtait moins cher que de dédommager un Roi Nègre !"

Gabin parachève son intervention sur ces mots : "Vous allez faire avec les amis de Mr Chalamont, l'Europe de la fortune contre celle du travail. L'Europe de l'industrie lourde contre celle de la paix. Et bien cette Europe là vous la ferez sans moi, je vous laisse !"

64 ans plus tard, les paroles de Beaufort-Gabin n'ont pas fini de résonner...

Envie de voir (ou revoir !) Le Président ? Il est disponible en DVD / Blu-ray et VOD.

publié le 7 février, Olivier Pallaruelo, Allociné

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