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EXCLU-Rencontre avec François Cluzet et Marianne Denicourt (Médecin de campagne)

François Cluzet et Marianne Denicourt dans Médecin de campagne de Thomas Lilti

© Le Pacte, DR

Deux ans après Hippocrate, Thomas Lilti revient cette semaine en salles avec le très touchant Médecin de campagne, dans lequel il dirige François Cluzet et Marianne Denicourt. Rencontre avec un duo d'acteurs aussi talentueux que charismatique.

Orange : Qu'est-ce qui vous a séduit dans vos personnages respectifs ?

François Cluzet : C'est toujours la même chose pour moi, peut-être parce qu'à force de jouer, je ne m'intéresse plus vraiment au rôle en tant que tel mais plutôt au film. Ce qui m'intéresse, ce sont surtout mes partenaires et ce que va devenir le film. Un grand acteur, c'est un bon partenaire. Dans le travail qu'on a fait en amont, j'étais très à l'écoute de Marianne qui s'est énormément documentée. Mais pour répondre à votre question, ce qui m'a plu dans le rôle, c'est l'altruisme du personnage. J'ai compris depuis Intouchables que l'abnégation fait partie de notre métier. Disparaître au profit de l'autre, c'est bon pour le film. Ce qui a été magnifique avec Marianne, c'est que d'un seul coup, nous étions les acteurs d'une même famille. Le sacro-saint, pour nous, c'est d'être sincère.

Marianne Denicourt : Pour rejoindre ce que dit François, je pense que jouer, c'est disparaître au profit d'un personnage et effectivement d'une histoire. Et là, il y avait une histoire forte, très belle. La médecine, c'est la communication et l'écoute. La médecine de campagne, c'est passionnant. On a tous été de près ou de loin confronté à ça, au problème des déserts médicaux, et amener un regard là-dessus, c'était très intéressant.

FC : Il y a une vertu aussi dans le film qui m'a beaucoup interpellé, c'est celle d'alerter au sens politique et social sur un trésor qui pourrait disparaître. Nos personnages retracent ça formidablement, ce sont des altruistes, des gens disponibles 24h/24, 7j/7. Le fait de dire qu'ils existent encore et qu'il faut que ça perdure, c'est une très grande qualité du film.

On sent effectivement que la dimension humaine est très forte. C'est à la fois un film social, un film politique... Il y a également un côté quasi documentaire. Comment est-ce que vous le définiriez finalement ?

MD : Dans le fond, c'est comme la vie, c'est toujours plus riche que ce qu'on imagine. Et je crois que le film a une vraie simplicité, même en abordant tous ces thèmes - celui de la rencontre, de la vocation, de la transmission, de la médecine... Cette fiction est un vrai projet de film sur une société.

FC: Cet aspect documentaire dont vous parlez, je crois que ça vient du fait que notre metteur en scène est médecin, et qu'il parle de ce qu'il connaît. Donc il y a une vérité dans les situations décrites, comme celle du monsieur qui a huit couches de pull over. Et puis il y a vraiment un don de soi de chaque acteur qui permet cette vérité. De sucroît, c'est filmé à l'épaule, ce qui donne une impression de reportage. Pourtant, on sort du film avec une véritable histoire, celle d'une rencontre entre un homme et une femme. C'était beau d'avoir un film documenté, et en même temps, de ne pas oublier que le divertissement, c'est une histoire, et non une succession de situations réelles. J'aimais beaucoup ce mélange très adroit, très intelligent. Notre chance aussi, c'est d'avoir eu un grand metteur en scène, très à l'écoute. Le bon médecin qu'il était lui a fait devenir un bon metteur en scène.

Comment décririez-vous l'évolution de la relation entre vos personnages ?

FC : Ce médecin est malade. On lui conseille de se faire remplacer et il se rend compte à quel point c'est impossible pour lui. Le film a failli s'appeler Irremplaçable car ce type se juge irremplaçable, pas dans ses qualités de médecin, mais dans la relation qu'il a avec ses patients. Les personnages sont deux très bons médecins, mais le mien refuse de croire aux qualités de sa consoeur, c'est pour ça qu'il lui tend autant de pièges. Il n'a pas de vie familiale ou sentimentale, sa vie est sacerdotale et il considère ses patients comme sa vraie famille. Donc la venue de cette femme est relativement déconcertante et il croit pouvoir s'en libérer assez vite mais finalement c'est elle qui va avoir le dessus.

MD : Dans un premier temps, il fait tout pour la décourager. Peut-être aussi que c'est une manière de tester sa vocation. Donc il essaye mais elle ne se décourage pas car elle sait que sa place est là. Et elle sait que finalement sa détermination aura raison. Je me souviens quand j'ai commencé dans l'école de Patrice Chéreau à Nanterre, Jean-Louis Richard, un comédien, disait qu'il faut toujours décourager un acteur de faire ce métier parce que ceux qui veulent le faire le feront. C'est ce qui se passe dans le film. Le personnage de François se dit : "Il vaut mieux que je la décourage parce qu'elle n'a pas idée de ce que c'est".

C'est un très beau film sur la transmission. Quels enseignements avez-vous vous-mêmes tirés de cette expérience ?

MD : Je me souviens que François a voulu rencontrer tout le monde, y compris ceux qui n'avaient qu'une phrase à dire. J'ai trouvé ça épatant, parce que c'est dur de venir pour un petit rôle. Et François a fait la même chose avec moi. Ça faisait un petit moment que je ne travaillais plus trop, et il m'a redonné confiance. Donc il y a eu une vraie synergie entre les acteurs. Et Thomas (Lilti, le réalisateur, ndlr) a orchestré ça avec beaucoup de délicatesse.

FC : Tout le monde est indispensable. Un jeune stagiaire de 18 ans à un rôle égal à celui du chef opérateur. Si vous avez ce sens du collectif, vous pouvez réussir à ce que la grâce se pointe, autrement, elle ne viendra jamais.

Médecin de campagne, c'est un métier passion. Un peu comme celui d'acteur finalement ?

FC : Oui.

MD : Il y a mille manières d'exercer la médecine et mille manières d'exercer le métier d'acteur. Mais c'est vrai que là, ce sont des personnages qui font peu de cas d'eux-mêmes et qui se préoccupent davantage de la personne en face, exactement comme quand François dit qu'un acteur doit faire peu de cas de ses émotions et grand cas de ses partenaires.

publié le 21 mars, Pauline Julien

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