Tilda Swinton collabore une nouvelle fois avec Joanna Hogg pour le thriller Eternal Daughter et l'actrice y livre une double performance étonnante dans ce film de fantômes à découvrir au cinéma.

De quoi ça parle ?

Julie, accompagnée de sa mère âgée, vient prendre quelques jours de repos dans un hôtel perdu dans la campagne anglaise. La jeune femme, réalisatrice en plein doute, espère y retrouver l'inspiration ; sa mère y voit l'occasion de faire remonter de lointains souvenirs, entre les murs de cette bâtisse qu'elle a fréquentée dans sa jeunesse.

Très vite, Julie est saisie par l'étrange atmosphère des lieux : les couloirs sont déserts, la standardiste a un comportement hostile, et son chien n'a de cesse de s'échapper. La nuit tombée, les circonstances poussent Julie à explorer le domaine. Elle est alors gagnée par l'impression tenace qu'un indicible secret hante ces murs.

La double performance troublante de Tilda Swinton

Après The Souvenir : Part I et The Souvenir : Part II, la réalisatrice britannique Joanna Hogg est de retour avec un nouveau film, Eternal Daugther, sorte de sequel spirituel du dyptique cité précédemment. La cinéaste fait une nouvelle fois appel à Tilda Swinton, amie de longue date, qui campait déjà le personnage de la mère de l'héroïne Julie dans les deux longs-métrages The Souvenir.

L'actrice britannique reprend ce rôle, nommé Rosalind bien plus âgée désormais, mais campe aussi la version plus âgée de Julie, personnage autobiographique de Joanna Hogg. Après ses études de cinéma, Julie est désormais une réalisatrice, en proie au doute, qui va profiter de quelques jours de repos avec sa mère dans un hôtel perdu dans une campagne inquiétante.

Pourtant, à la genèse de Eternal Daughter, produit par Martin Scorsese, Tilda Swinton ne devait incarner que la version âgée de Julie, incarnée dans sa version jeune par Honor Swinton-Byrne, la fille de Tilda Swinton, dans les films The Souvenir. Lors de la préparation du long-métrage, Tilda Swinton a suggéré, de manière spontanée, d'incarner les deux rôles.

Cette proposition s'est alors imposée comme une évidence afin de proposer une expérience plus originale. Et cela n'aurait pas été possible si Tilda Swinton et Joanna Hogg n'étaient pas de grandes amies, comme nous l'a confié l'actrice lors d'une table ronde au Festival du Film International de Marrakech où le film était projeté en avant-première :

"Peut-être faut-il des amies aussi proches que Joanna et moi pour oser faire ce que nous avons osé faire sur ce projet parce que la plupart des gens diraient que c'est ridicule. Comment jouer les deux personnages ? Comment pouvez-vous jouer quelqu'un qui finit par avoir plus de quatre-vingt-dix ans ? Comment est-ce possible ? ll faut travailler avec des amis proches pour oser ce type de performance."

Le challenge primordial pour Tilda Swinton est d'incarner des personnages bouleversés par un changement plutôt qu'une performance en tant que telle, même si elle est connue pour ses transfigurations :

"J'ai réalisé que je suis très intéressée par la transformation, non pas en tant que performance, mais en tant qu'effet sur les gens. Je suis très intéressée par les histoires dans lesquelles un portrait de quelqu'un pourrait suivre un chemin et ensuite il arrivera à une sorte de précipice et devra changer, devra prendre un tournant majeur."

Pour la double performance fascinante de Tilda Swinton, Joanna Hogg et elle ont mis au point une méthode de travail afin que l'actrice puisse incarner avec justesse et cohérence les deux personnages, en passant d'un rôle à l'autre tout en restant dans l'intensité de la scène préparée. Ainsi, les journées étaient coupées en deux : le matin, Tilda Swinton jouait Julie et, l'après-midi, Rosalind - ou l'inverse -, et se faisait maquiller pendant la pause de la mi-journée pour changer d'identité.

Même si son amitié avec Joann Hogg l'a mise en confiance, et lui a permis d'avoir de la place pour l'improvisation, pour incarner ces deux personnages dans Eternal Daughter, ce n'est pas la première fois que Tilda Swinton interprète plusieurs personnages dans un film. On se rappelle qu'elle campait un personnage à plusieurs identités dans Orlando de Sally Potter, mais aussi des jumelles dans Ave, César ! et Snowpiercer et même trois personnages différents dans Suspiria de Luca Guadagnino.

Comme les personnages atypiques qu'elle aime incarner, Eternal Daughter semble à lui seul marquer un tournant dans la relation artistique entre Joanna Hogg et elle. Si elles sont amies depuis l'enfance et l'adolescence, les deux femmes n'avaient pas collaboré depuis 1986 et le court-métrage Caprice, le projet de fin d'étude de la réalisatrice.

"Je ne pense pas que nous ayons jamais prévu de ne pas travailler l'une avec l'autre pendant tout ce temps", explique Joanna Hogg. "Le temps a passé et nous étions parfois dans différentes parties du monde en train de faire des choses différentes. Tilda était occupée d'un film à l'autre et j'étais occupée à tourner mes films. On a eu des vies en quelque sorte parallèles, mais nous sommes toujours restées amies."

Et puis, les années passant, Joanna Hogg est arrivéd à un moment de sa vie où elle voulait revenir sur son passé : "Je me suis dit que j'allais revenir un peu sur ma vie, ce à quoi j'ai résisté jusqu'en 2015. Et c'était en repensant à ma vie et en repensant à un moment où Tilda et moi nous voyions beaucoup au début de notre vingtaine et j'étais dans une relation qui était très difficile. Tilda était au courant de la relation, elle en a été témoin. Et donc c'était tout à fait naturel à ce moment-là de regarder en arrière pour se réunir à nouveau dans ce futur point."

Joanna Hogg a donc fait appel à Tilda Swinton pour son dyptique autobiographique The Souvenir, puis pour son sequel Eternal Daughter. Alors, vont-elles retravailler ensemble ? "Bien sûr, il y aura d'autres films. Pas forcément avec Rosalind et Julie, je ne sais pas ce que ce sera le prochain film et ce que l'on va faire ensuite."

Si l'univers de Joanna Hogg vous intéresse, sachez que ses trois premiers films - Unrelated, Archipelago et Exhibition - sortiront au cinéma en France dès le 29 mars prochain.

Propos recueillis par Mégane Choquet lors d'une table ronde avec plusieurs journalistes à l'occasion du Festival du Film International de Marrakech de 2022.