Cinéma : 12 films primés à Deauville que tout bon cinéphile doit avoir vus
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De "Ça tourne à Manhattan" à "Aftersun", en passant par "Little Miss Sunshine", retour sur douze lauréats incontournables du Grand Prix du Festival du Cinéma Américain de Deauville.
Le Festival du Cinéma Américain de Deauville a beau fêter cette année son 49ème anniversaire et approcher à grands pas de la cinquantaine, son Grand Prix est à peine trentenaire. Le nom a peut-être changé au cours des premières années, mais la récompense suprême de l'événement a été crée en 1995, mettant en lumière de cinéastes aujourd'hui incontournables.
Alors que le 28ème lauréat de l'Histoire du Festival sera connu sous peu, parmi les quatorze longs métrages présentés en Compétition cette année, retour sur douze vainqueurs incontournables.
ÇA TOURNE A MANHATTAN (1995)
Ça parle de quoi ? Les mésaventures d'une équipe de cinéma lors du tournage d'un film indépendant à petit budget.
Pourquoi il faut l'avoir vu ? Parce que c'est le premier Grand Prix de l'Histoire du Festival de Deauville, déjà. Et quoi de plus symbolique que de le remettre à un film racontant le tournage d'un long métrage indépendant, dans lequel rien ne se passe comme prévu ?
Quand le cinéma dévoile ses propres coulisses, le succès est souvent au rendez-vous, et Ça tourne à Manhattan le prouve avec un humour loufoque qui sent le vécu. Et les talents conjugués du réalisateur Tom DiCillo, pilier du cinéma indé US qui s'est depuis tourné vers les séries, et de son casting : Steve Buscemi, Catherine Keener ou Peter Dinklage, en acteur fatigué de voir les comédiens de petite taille sans cesse utilisés dans des séquences de rêve.
DANS LA PEAU DE JOHN MALKOVICH (1999)
Ça parle de quoi ? Craig Schwartz est marionnettiste de rue, mais ne parvient pas à vivre de son art. Lotte, son épouse, s'intéresse beaucoup plus à ses animaux qu'à lui. Devant leurs difficultes financières, le jeune homme trouve un emploi au septième étage du building de l'entreprise Lester.
En classant des dossiers, Craig découvre une porte dérobée et l'emprunte. Celle-ci le conduit pour quinze minutes à l'intérieur de John Malkovich. Cette prodigieuse découverte va lui permettre de changer de vie.
Pourquoi il faut l'avoir vu ? Pour son pitch qui ne peut qu'éveiller la curiosité envers un film marquant la naissance du scénariste Charlie Kaufman et de Spike Jonze en tant que réalisateur de cinéma. Leurs univers barrés et décalés étaient faits pour se rencontrer, et Dans la peau de John Malkovich le confirme avec brio.
Drôle, inventif et angoissé, le film offre à Cameron Diaz un beau contre-emploi et a pris le public par surprise. Le succès a été au rendez-vous et heureusement. Car qui sait si des opus comme Her, Eternal Sunshine of the Spotless Mind ou Max et les Maximonstres, inscrits dans la même mouvance, auraient vu le jour sans lui ? A voir sur Prime Video
GIRLFIGHT (2000)
Ça parle de quoi ? Diana Guzman a l'art de s'attirer des ennuis. Adolescente sombre et maussade, elle en veut a la Terre entière et passe son année scolaire à se battre avec les rares amateurs qui trainent dans les couloirs du lycée. Diana habite Red Hooks, à Brooklyn, avec son père Sandro, souvent absent, et son jeune frère Tiny.
Leur mère est morte. Diana est entourée de gens qui, selon elle, passent à côté de la vie. Pour elle, il n'y a pas d'autre alternative que de se battre pour s'en sortir et elle préfère de loin être celle qui cogne. C'est ainsi qu'elle découvre l'univers de la boxe.
Pourquoi il faut l'avoir vu ? Pour que l'on arrête, une bonne fois pour toutes, de réduire Michelle Rodriguez à Fast & Furious ou Resident Evil. A l'aube du XXIè siècle, la comédienne se révèle avec fracas grâce à Girlfight, qui reste l'un de ses meilleurs rôles. Si ce n'est le meilleur. Dans un long métrage qui marche sur les traces de Rocky, en mêlant boxe et portrait de femme.
Une premier film coup de poing à plus d'un titre. Pour elle comme pour la réalisatrice Karyn Kusama, qui faisait elle aussi ses débuts. Si elle s'est ensuite perdue avec Æon Flux avant de diviser avec Jennifer's Body (grandement réévalué depuis sa sortie), elle est aujourd'hui devenue une cinéaste rare mais importante, qui s'illustre actuellement dans la série Yellowjackets.
Il faut également découvrir son œuvre, et autant commencer par le début, sec et sobre. Comme son héroïne, elle fait preuve d'une maîtrise qui lui permet de prendre une place que l'on pensait réservées aux seuls hommes.
HEDWIG AND THE ANGRY INCH (2001)
Ça parle de quoi ? Hedwig Schmidt, un transsexuel allemand, est la star du rock la plus étonnante et la plus méconnue du monde. Avec son groupe, elle sillonne les Etats-Unis de restaurants miteux en halls de centres commerciaux.
Pourtant, chacune de ses chansons révèle son incroyable destin et sa vision du monde. Hedwig raconte, en chansons, son enfance est-allemande, sa solitude, son opération de changement de sexe et ses passions. Elle poursuit également le célébrissime Tommy Gnosis, le jeune homme qu'elle a tant aimé et pour qui elle a composé certaines musiques.
Pourquoi il faut l'avoir vu ? L'une des forces du cinéma indépendant américain, c'est aussi de se faire l'écho de voix laissées trop souvent en-dehors des œuvres grand public. D'où son importance alors que leur financement est de plus en plus compliqué.
Sur ce seul plan, Hedwig and the Angry Inch et son chanteur transsexuel allemand sont un parfait Grand Prix, aux accents politiques. Mais il serait réducteur de n'en retenir que cet aspect, et de laisser de côté la folle énergie cinématographique de l'acteur et réalisateur John Cameron Mitchell.
Avant de secouer Cannes grâce à Shortbus et How to Talk to Girls at Parties, c'est Deauville (et Sundance) qu'il a électrisé(s) avec ce film rock devenu culte, cousin du Velvet Goldmine de Todd Haynes qui ne fait rien comme les autres. A l'image de son personnage principal.
COLLISION (2005)
Ça parle de quoi ? Deux voleurs de voitures. Un serrurier mexicain. Deux inspecteurs de police qui sont aussi amants. Une femme au foyer et son mari, district attorney. Tous vivent à Los Angeles. Eux et beaucoup d'autres ne se connaissent pas, leurs vies n'auraient jamais dû se croiser.
Pourtant, dans les prochaines 36 heures, leurs destins vont se rencontrer, révélant ce que chacun voulait cacher ou ne pas voir...
Pourquoi il faut l'avoir vu ? Parce qu'il s'agit d'un Grand Prix de Deauville ET d'un lauréat de l'Oscar du Meilleur Film. Quelques mois après son triomphe en France, le long métrage réalisé par Paul Haggis (scénariste de Million Dollar Baby et créateur de... Walker Texas Ranger !) créé la surprise en se jouant des favoris Munich et Le Secret de Brokeback Mountain.
Est-ce un meilleur film pour autant ? Pas vraiment, autant être honnêtes sur ce point, la faute à des ficelles de film-choral (format en vogue à l'époque, suite aux succès d'Amours chiennes et 21 grammes) un peu grosses dans un scénario trop ambitieux.
Mais Collision tire sa force de son casting (Matt Dillon, Brendan Fraser, Sandra Bullock...) et surtout de sa peinture brutale de l'Amérique post-11-Septembre, marquée par la peur de l'autre, la violence et le racisme. Un instantané d'une époque, pas si manichéen que cela.
LITTLE MISS SUNSHINE (2006)
Ça parle de quoi ? Quand Olive décroche une invitation à concourir pour le titre très sélectif de Little Miss Sunshine en Californie, toute la famille Hoover décide de faire corps derrière elle. Les voilà donc entassés dans leur break Volkswagen rouillé : ils mettent le cap vers l'Ouest et entament un voyage tragi-comique de trois jours qui les mettra aux prises avec des événements inattendus...
Pourquoi il faut l'avoir vu ? Peut-on parler de cinéma indépendant avec un film produit par la branche indé un grand studio, le Fox dans le cas présent ? La question se pose, certes. Mais elle n'enlève rien au fait que Little Miss Sunshine est une pépite qui mérite amplement son Grand Prix et dont la qualité ne doit rien à son financement.
Il y a d'ailleurs eu un avant et un après Little Miss Sunshine, dont le van jaune s'est immiscé jusqu'aux Oscars avec deux statuettes à la clé (Meilleur Scénario Original, Meilleur Acteur dans un Second Rôle pour le regretté Alan Arkin). Car il a initié la vague de feel-good movies, souvent produits et distribués par Fox Searchlight, peuplés d'humour et d'émotion, de marginaux et de familles dysfonctionnelles, sur fond de bande-originale pop folk.
Ode à l'acceptation de soi au final hilarant, Little Miss Sunshine est un petit miracle dont le succès a permis que Juno, (500) jours ensemble ou Elle s'appelle Ruby voient le jour. Pour ça aussi, le film de Jonathan Dayton et Valerie Faris mérite d'être vu et revu. A voir sur Disney+
THE VISITOR (2008)
Ça parle de quoi ? Professeur d'économie dans une université du Connecticut, Walter Vale, la soixantaine, a perdu son goût pour l'enseignement et mène désormais une vie routinière. Il tente de combler le vide de son existence en apprenant le piano, mais sans grand succès...
Lorsque l'Université l'envoie à Manhattan pour assister à une conférence, Walter constate qu'un jeune couple s'est installé dans l'appartement qu'il possède là-bas : victimes d'une escroquerie immobilière, Tarek, d'origine syrienne, et sa petite amie sénégalaise Zainab n'ont nulle part ailleurs où aller. D'abord un rien réticent, Walter accepte de laisser les deux jeunes gens habiter avec lui.
Pourquoi il faut l'avoir vu ? Des films de cette liste, The Visitor n'est sans doute pas le plus connu. Son réalisateur Tom McCarthy n'a jamais vraiment percé auprès du grand public. Son acteur principal Richard Jenkins est un solide second rôle, de ceux dont beaucoup connaissent le visage mais pas le nom. Et il n'a pas de concept et autre bande-originale culte à son actif.
Mais justement. Le Festival de Deauville regorge de pépites qui ne payent pas de mine et qui nous touchent en plein cœur. Comme Brooklyn Village d'Ira Sachs, Grand Prix en 2016. Ou The Visitor, dont la douceur n'a d'égal que sa simplicité dans cette histoire qui prône le vivre-ensemble, et apparaît par instants comme le négatif de Collision.
Et puis c'est l'occasion de découvrir Danai Gurira dans l'un de ses premiers rôles. Lorsqu'elle n'était pas encore la Michonne de The Walking Dead ou la Okoye de Black Panther chez Marvel.
TAKE SHELTER (2011)
Ça parle de quoi ? Curtis LaForche mène une vie paisible avec sa femme et sa fille quand il devient sujet à de violents cauchemars. La menace d'une tornade l'obsède. Des visions apocalyptiques envahissent peu à peu son esprit. Son comportement inexplicable fragilise son couple et provoque l'incompréhension de ses proches. Rien ne peut en effet vaincre la terreur qui l'habite...
Pourquoi il faut l'avoir vu ? Les spectateurs qui l'avaient découvert à Cannes quelques mois plus tôt étaient formels : le meilleur film avec Jessica Chastain de cette édition n'était pas la Palme d'Or The Tree of Life, mais Take Shelter. Lauréat du Grand Prix de la Semaine de la Critique après avoir été repéré à Sundance, il se présente en favori de la Compétition de Deauville.
Et le deuxième long métrage de Jeff Nichols fait honneur à son statut. Avec ses visions dantesques qui assaillent le personnage principal joué par Michael Shannon. La famille, thème fétiche du cinéaste, est au cœur de ce récit angoissant et paranoïaque qui se présente comme une métaphore de l'Amérique d'alors.
Dans une intrigue qui, dérèglement climatique oblige, paraît encore plus d'actualité une décennie après la sortie du film. Qui n'a donc rien perdu de sa puissance évocatrice, bien au contraire.
LES BÊTES DU SUD SAUVAGE (2012)
Ça parle de quoi ? Hushpuppy, 6 ans, vit dans le bayou avec son père. Brusquement, la nature s'emballe, la température monte, les glaciers fondent, libérant une armée d'aurochs. Avec la montée des eaux, l'irruption des aurochs et la santé de son père qui décline, Hushpuppy décide de partir à la recherche de sa mère disparue.
Pourquoi il faut l'avoir vu ? Depuis plus d'une décennie, l'axe Sundance-Cannes-Deauville est devenu la route privilégiée des films indépendants américains, sur le chemin qui mène aux Oscars. Quitte à ce que le suspense en pâtisse en Normandie, quand Les Bêtes du Sud Sauvage débarque et fait office de grandissime favori en 2012.
Si le premier long métrage de Benh Zeitlin (qui mettra pas loin d'une décennie pour passer la seconde) rappelle Take Shelter à travers son aspect post-apocalyptique, il s'en éloigne sur le reste. Plus lyrique et lumineux, ce récit à hauteur d'enfant nous enchante et nous transporte dans son univers à la lisière du surnaturel.
Riche sur les plans visuel et sonore (quelle bande-originale !), Les Bêtes du Sud Sauvage fait partie de ces films uniques et fascinants, contre lequel les autres participants à la Compétition ont eu le malheur de tomber cette année-là.
WHIPLASH (2014)
Ça parle de quoi ? Andrew, 19 ans, rêve de devenir l'un des meilleurs batteurs de jazz de sa génération. Mais la concurrence est rude au conservatoire de Manhattan où il s'entraîne avec acharnement.
Il a pour objectif d'intégrer le fleuron des orchestres dirigé par Terence Fletcher, professeur féroce et intraitable. Lorsque celui-ci le repère enfin, Andrew se lance, sous sa direction, dans la quête de l'excellence...
Pourquoi il faut l'avoir vu ? Là encore, pas de suspense. Ou très peu. Celles et ceux qui l'avaient découvert à la Quinzaine des Cinéastes du Festival de Cannes savaient qu'il s'agissait d'un Grand Prix en puissance. Et qu'il allait falloir se lever de bonne heure pour le doubler au palmarès.
Comme à Sundance quelques mois plus tôt, Whiplash s'est offert le Grand Prix et le Prix du Public, comme un symbole indiscutable de la manière dont le film a électrisé Deauville en 2014. Spectateurs et jurés ont ainsi découvert le goût de Damien Chazelle pour la musique (le jazz en tête) et le rythme, et sa manière de voir la passion comme un but autant qu'une souffrance et une source de sacrifices.
Enflammé par la prestation démentielle de J.K. Simmons en prof tyrannique (Oscar du Meilleur Second Rôle Masculin, l'une des trois statuettes reçues par le film), Whiplash filme les scènes musicales comme de la boxe et nous prend aux tripes pour ne relâcher qu'au générique de fin. Pour certains, Damien Chazelle n'a pas fait mieux depuis. A voir sur Ciné+
THE RIDER (2017)
Ça parle de quoi ? Le jeune cowboy Brady, étoile montante du rodéo, apprend qu'après son tragique accident de cheval, les compétitions lui sont désormais interdites. De retour chez lui, Brady doit trouver une nouvelle raison de vivre, à présent qu'il ne peut plus s'adonner à l'équitation et la compétition qui donnaient tout son sens à sa vie.
Dans ses efforts pour reprendre en main son destin, Brady se lance à la recherche d'une nouvelle identité et tente de définir ce qu'implique être un homme au coeur de l'Amérique.
Pourquoi il faut l'avoir vu ? Pour découvrir le meilleur film de la réalisatrice des Éternels. Plus abouti que Les Chansons que mes frères m'ont apprises, plus pur que Nomadland, moins hollywoodien que son long métrage Marvel, The Rider figure parmi ce que le cinéma indépendant américain a produit de mieux ces dernières années.
Un anti-western en forme de portrait de l'Amérique d'alors, symbolisé par son personnage principal et sa quête d'identité, lorsqu'il doit renoncer à sa vocation du jour au lendemain. Fascinée par la nature et les couchers de soleil, Chloé Zhao flirte avec le documentaire et s'approche au plus près du cœur de ses protagonistes. Réaliste, poétique et bouleversant.
AFTERSUN (2022)
Ça parle de quoi ? Avec mélancolie, Sophie se remémore les vacances d'été passées avec son père vingt ans auparavant : les moments de joie partagée, leur complicité, parfois leurs désaccords. Elle repense aussi à ce qui planait au-dessus de ces instants si précieux : la sourde et invisible menace d'un bonheur finissant.
Elle tente alors de chercher parmi ces souvenirs des réponses à la question qui l'obsède depuis tant d'années : qui était réellement cet homme qu'elle a le sentiment de ne pas connaître ?
Pourquoi il faut l'avoir vu ? Aftersun n'est ni vraiment américain, ni totalement anglais, mais qu'importe : c'est l'un des meilleurs films de 2023. Ou 2022, pour qui l'a découvert en festival. Dont celui de Deauville, où les échos venus de la Semaine de la Critique de Cannes en faisaient l'un des favoris. A très juste titre.
Rares sont les premiers longs métrages à faire preuve d'une telle maîtrise. En s'inspirant d'un sujet profondément personnel (ses dernières vacances avec son père), Charlotte Wells tisse un récit dont les ellipses pourraient en dérouter plus un, car tout spectateur n'ayant pas lu de synopsis pourra avoir du mal à voir où elle veut nous emmener.
Mais sa confiance dans l'intelligence du public est grande, et celui-ci voit les contours du drame se dessiner petit-à-petit. Au gré des souvenirs de Sophie (Frankie Corio) avec Calum (Paul Mescal), alors que l'émotion monte progressivement jusqu'à exploser dans le final. Le film était présenté en début de Compétition l'an dernier, mais l'évidence était là : c'était assurément le futur Grand Prix.
publié le 9 septembre, Maximilien Pierrette, Allociné