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Chili 1976 : portrait d'une femme qui dit non

A travers une évocation du Chili du dictateur Pinochet, Manuela Martelli signe le portrait d'une femme qui se découvre une conscience politique. Un récit d'émancipation très personnel pour la réalisatrice, qui signe ici son premier long métrage.

AlloCiné : Chili 1976 est né du souvenir de votre grand-mère dont la mort est entourée de mystère. Votre film fantasme sur le sort de votre grand-mère ?

Manuela Martelli : Pour moi la question, plus que le décès de ma grand-mère, était liée à sa dépression. Quand j'ai commencé à faire des recherches pour le film, j'ai d'abord interrogé ma famille la plus proche sur ma grand-mère, et ce qui m'a interpellée c'est que la dépression était comprise comme quelque chose d'intrinsèque, quelque chose qui définissait ma grand-mère ou faisait partie de sa personnalité.

Il pourrait y avoir eu une certaine part de cela, une sensibilité particulière, mais aussi quelque chose de plus grand qu'elle, quelque chose qui était culturel, politique, social. Pendant de nombreuses années, les femmes avaient cette intuition, mais n'avaient pas de mots pour la définir.

Betty Friedan, au début des années 60, l'appelait "le problème qui n'a pas de nom". Mais au Chili, les choses ont été beaucoup plus lentes, puis la dictature est arrivée, gelant tout progrès pendant vingt ans. Alors j'ai pensé qu'on ne pouvait pas penser à la dépression sans penser aux horreurs de la dictature.

Pourquoi avez-vous choisi de situer l'action en 1976 ? Pourquoi cette année est-elle si particulière dans l'histoire du Chili ?

C'était l'année de la mort de ma grand-mère, et, pour moi, choisir cette année était un moyen de réparation. Faire d'une date de décès une date de naissance lui donnait la chance d'une nouvelle vie.

Mais cette année-là est aussi significative, c'était une des années les plus brutales de la dictature. Je pense que, d'une certaine manière, ce fut une année charnière, quand la répression a pris sa pleine mesure. A partir de là, personne n'osait plus rien faire.

Le spectateur est vraiment dans la tête de votre héroïne. Elle a l'air illisible pour tout le monde sauf pour nous...

Je pense que c'est lié à ce que je disais avant, ces choses non dites, soit parce qu'il n'y a pas d'espace soit parce qu'il n'y a pas de mots (qui sont bien sûr si liés). Je pense que c'est pourquoi le personnage est très énigmatique. Carmen gagne en lucidité au fur et à mesure que le film se déroule, pas seulement politiquement, mais aussi personnellement.

Aline Kuppenheim est fascinante. Comment avez-vous travaillé avec elle ?

Nous nous sommes rencontrées il y a de nombreuses années, sur le tournage de Mon ami Machuca, et nous nous sommes retrouvées dans La Buena Vida. Il y avait donc déjà une certaine complicité entre nous.

Quand j'écrivais le script, je pensais à elle. Ensuite, nous avons commencé à beaucoup échanger. Je lui ai parlé de ma grand-mère, et elle m'a parlé de la sienne. Et j'ai découvert un personnage incroyable, une femme transgressive, en avance sur son temps, totalement libérale.

Nous avons donc commencé à construire le personnage ensemble. J'ai ajouté beaucoup de choses de la grand-mère d'Aline au personnage. Sur le plateau, alors, il n'y avait plus grand-chose à dire. Aline est une grande actrice, tellement talentueuse, intelligente et généreuse. Elle avait parfaitement compris le film, je n'ai donc eu qu'à la laisser jouer.

Le son est particulièrement important dans votre film, il retranscrit vraiment les doutes et les faiblesses de votre héroïne.

Le son est très important dans le film car il traite de l'idée de l'invisible. Quoi de mieux que le son pour refléter cela ? C'est une matière invisible toujours présente. Je pensais que c'était un excellent moyen pour représenter le sentiment de dictature. Le son dans le film joue ce rôle, mais comme vous le dites, il est aussi devenu subjectif, révélant l'esprit de Carmen.

publié le 23 mars, Vincent Garnier, Allociné

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