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"C'est très masochiste de devenir actrice" : ce documentaire choc et culte est à (re)voir d'urgence au cinéma

Sexisme, rôles dévalorisants... 23 actrices témoignent dans "Sois belle et tais-toi !", un documentaire engagé de Delphine Seyrig qui ressort au cinéma ce mercredi.

De quoi ça parle ?

En 1975 et 1976, Delphine Seyrig s'entretient avec 23 actrices sur leurs conditions de femmes dans l'industrie cinématographique, leurs rapports avec les producteurs et réalisateurs, les rôles qu'on leur proposent et les liens qu'elles entretiennent avec d'autres comédiennes. Un documentaire culte, qui permet de réaliser ce qui a changé (ou pas).

Actrices interviewées : Jane Fonda, Louise Fletcher, Barbara Steele, Juliet Berto, Anne Wiazemsky, Shirley MacLaine, Maria Schneider, Ellen Burstyn ...

Sois belle et tais-toi ! revient au cinéma, et il serait dommage de manquer ce rendez-vous ! Ce documentaire a quelque chose de fascinant : on a l'impression d'ouvrir une capsule temporelle, dont on a du mal à dater précisément la période dont elle provient. Années 50 ? 60 ? 70 ? Il y a ce noir et blanc, l'aspect granuleux des images, et ces visages dont on ne connait plus forcément tous les noms aujourd'hui... Parmi les 23 actrices qui témoignent, certains noms se détachent évidemment un peu plus, comme Jane Fonda, Maria Schneider, Ellen Burstyn, Anne Bancroft, Anne Wiazemski ou encore Juliet Berto.

Un propos d'une incroyable modernité et actualité

Tous ces entretiens ont été enregistrés sur deux années, en 1975 et 1976, et sont devenus un film documentaire, sorti initialement en 1981. Cette ressortie de 2023 permet de (re)découvrir le film dans une bien meilleure qualité (et notamment se défaire d'une partie de la traduction simultanée qui faisait perdre les voix d'origine des actrices), mais le charme de l'ancien est toujours là. La forme est, dira-t-on, vintage, mais le propos est d'une incroyable modernité et actualité !

Sexisme, misogynie ordinaire, rareté des rôles principaux féminins, des rôles dévalorisants, conditions de travail complexes... Les actrices, défilant au micro de Delphine Seyrig, et devant la caméra de Carole Roussopoulos, font sauter tous les sujets tabous associés à l'industrie du cinéma. Certains propos ne peuvent laisser indifférent, comme cette phrase prononcée au milieu du documentaire : "c'est masochiste de devenir actrice !". Tout est résumé dans cette phrase que nous avons retenu en titre.

"Il y a un petit rôle de femme pour cinq rôles d'hommes. Alors, si en plus on fait la fine bouche alors qu'on est pas superstar, on se demande comment on finira dans ce métier." (Marie Dubois)

Au début du documentaire, plusieurs s'accordent à dire qu'elles n'auraient pas fait ce métier si elles avaient été un homme. Il y est largement question des différences de considération entre hommes et femmes dans cette industrie. On entend par exemple cette phrase, répétée de la bouche d'un décideur : "Je ne veux pas de femmes dans des positions de responsabilité". Plus loin, cette actrice qui affirme, sans détour :"Je pense qu'ils n'aiment pas les femmes". Ou encore, dans la bouche de l'actrice du Lauréat, Anne Bancroft, "ils nous voient comme des vieilles voitures".

Le long témoignage de Jane Fonda est peut être l'un de ceux qui a marqué le plus. "J'étais un produit du marché et il fallait bien que je m'arrange pour me rendre commerciale parce qu'on allait investir sur mon dos", dit-elle.

On reste marqué également par ces injonctions reçues à propos de son physique. Pour changer son apparence trop juvénile, on lui aurait dit de se casser la machoire ! On apprend qu'on lui a demandé de devenir blonde et de porter une fausse poitrine pour convenir davantage aux canons de beauté dictés par l'industrie.

On oublie que les femmes peuvent être transportées par des idées, que les femmes pensent, que les femmes aiment parler ensemble Autre passage important, toujours à travers le témoignage de Jane Fonda, concerne la sororité à l'écran. Parmi les questions abordées, la réalisatrice et intervieweuse Delphine Seyrig soulève un sujet pas si anodin, celui de la non-rivalité entre femmes à l'écran.

La question posée est : "Avez vous joué des scènes chaleureuses avec d'autres femmes ?" "On oublie que les femmes peuvent être transportées par des idées, que les femmes pensent, que les femmes aiment parler ensemble", lance Jane Fonda. Elle évoque le souvenir de Julia de Fred Zinneman, tourné avec Vanessa Redgrave. "C'était une toute petite scène mais c'était formidable de pouvoir demander [à Vanessa Redgrave] : "qu'est ce que tu lis en ce moment". Des réflexions qui font écho avec le Test de Bechdel, né, quelques années plus tard, du travail de l'autrice de roman graphique Alison Bechdel.

Le documentaire est dense, et la confrontation de regards entre la France et les Etats-Unis est intéressante. A ce sujet, Delphine Seyrig indiquait : "Je n'osais pas beaucoup interviewer les Françaises car je savais qu'on me voyait venir avec mes gros sabots de féministe, et que donc on se méfierait de moi" (extrait de l'émission en 1989 sur FR3, par Aline Pailler)

Outre la ressortie de ce documentaire, Delphine Seyrig, décédée en 1990, sera mise en lumière également via la sortie d'un livre, ce vendredi 17 février, "Delphine Seyrig, En construction(s)", de Jean Marc-Lalanne.

Rappelons également la ressortie prochaine de Jeanne Dielman de Chantal Akerman, film récemment élu comme le film le plus important du siècle dernier, et dans lequel Delphine Seyrig est de tous les plans.

publié le 15 février, Brigitte Baronnet, Allociné

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