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C'est l'un des meilleurs films fantastiques et il a failli rester sur le siège arrière d'un taxi

Le destin d'une oeuvre tient parfois à si peu de choses... Démonstration avec la mésaventure vécue autour d'un film qui est, encore aujourd'hui, considéré comme LE chef-d'oeuvre de son brillant réalisateur.

Conteur de génie ciselant amoureusement des récits où le merveilleux côtoie souvent le tragique et l'épouvante; cinéaste à la culture encyclopédique, autant capable d'évoquer sans fin son amour des oeuvres du peintre Francisco de Goya, que les comics, les jeux vidéo ou disserter sur Victor Hugo, H.P Lovecraft et Luis Bunuel, Guillermo del Toro promène dans le petit monde du cinéma sa silhouette d'ogre gentil, toujours enthousiaste et passionné, depuis déjà une trentaine d'années.

Et, avec bonheur, pour de longues années encore, alors qu'il vient d'être fraîchement récompensé par l'Oscar du Meilleur film d'animation pour son Pinocchio, cinq ans après avoir reçu la statuette du Meilleur réalisateur pour La Forme de l'eau.

En 2006, il a livré un extraordinaire film, que beaucoup considèrent encore comme son chef-d'oeuvre. Une oeuvre pleine de poésie et de sensibilité, où le merveilleux était un refuge face aux horreurs du fascisme : Le labyrinthe de Pan. Présenté au festival de Cannes cette année-là, il fut un sérieux candidat à la Palme d'or, qui sera finalement attribuée au Vent se lève de Ken Loach.

Coproduction hispano-mexicaine, Le labyrinthe de Pan était un projet très spécial pour lui, qui lui tenait à coeur. En fait, il avait commencé à réfléchir dessus dès 1993, en consignant ses idées dans son carnet. Un précieux carnet auquel il tient comme à la prunelle de ses yeux, dans lequel il note absolument tout : ses idées de films, des dessins, ses rêves, écrit des histoires... Bref, pour les fans du réalisateur comme pour lui-même : une colossale mine d'informations.

En février 2022, del Toro a assisté à une session de Q&A organisée à Los Angeles, pour célébrer le 15e anniversaire de la sortie du film. "Après le succès de Hellboy et Blade II, on m'a proposé tous les films de super-héros - ils commençaient alors à revenir" racontait del Toro. "J'y ai pensé parce que c'était très tentant et j'ai dit : "Est-ce que je fais Le Labyrinthe de Pan ou est-ce que je fais un gros film ?"

Un signe du destin

Encore indécis sur sa décision, un coup du sort va s'en charger pour lui : il oublia dans cette période sur la banquette arrière d'un taxi londonien son fameux carnet. Dans le malheur, il veut y voir un signe : "je comprends Seigneur, je ferai Le labyrinthe de Pan. Mais rends-moi mon cahier !"

Un oubli bien malheureux qui l'a laissé complètement désemparé. Deux décennies d'annotations se trouvaient dedans, et avec un scénario encore à écrire, il devrait abandonner le projet avant même de l'avoir commencé. Il avait tout perdu.

Au bout de quelques jours, le chauffeur de taxi a réussi à le localiser et à lui rendre son précieux carnet. Le Labyrinthe de Pan sortira deux ans seulement après Hellboy. "J'aime passer des gros films aux petits films" commente le cinéaste dans cette session de Q&A.

"J'aime ça parce que ça te fait rester honnête, et ça te fait peur. Les deux choses sont très importantes. Mais tout ce qui pouvait mal tourner sur Le Labyrinthe de Pan a mal tourné. Et l'équipe pensait que nous étions fous".

"je pensais que je faisais ce film pour une toute petite audience !" disait del Toro. C'était visiblement mal connaître les réactions enthousiastes et réceptives des spectateurs bouleversés par cette version d'Alice au pays des merveilles d'une noirceur abyssale, où le merveilleux, au prix d'un immense sacrifice, celui de l'enfance, triomphe sur le fascisme. Une oeuvre charnière dans la carrière déjà riche du cinéaste; et assurément un des plus grands films de cette décennie.

publié le 20 mars, Olivier Pallaruelo, Allociné

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