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"A gerber !", "une apologie du viol" : ce film choc a traumatisé un paquet de monde à sa sortie en salles, il est désormais dispo sur Netflix et bien plus complexe qu'une simple horreur

Festival de Cannes oblige, plateformes et chaînes de télé font la part belle aux films-événements, chocs, qui ont marqué la Croisette... Et parmi eux, ce thriller traumatisant avec Isabelle Huppert ne fait pas partie des plus aimables. Ni des moins polémiques. Mais alors, vraiment pas.

Michèle a un poste à responsabilité dans une boîte de jeux vidéo. Mais cette vie routinière bascule violemment : un jour, elle est victime d'un viol, chez elle, en pleine journée. Elle ne décide ni de contacter les autorités, ni de porter plainte. Alors que, traumatisée, elle poursuit sa vie comme si de rien n'était, la sexagénaire va peu à peu appréhender l'agresseur sexuel qui l'a meurtrie au plus profond d'elle... et attendre son retour.

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Ca, c'est le pitch de Elle, un film qui a provoqué émois et scandale dès sa présentation au Festival de Cannes en 2016 - avant de susciter tous les débats lors de sa sortie en salles. Aujourd'hui, alors qu'il débarque dès ce 26 mai sur Netflix, on s'imagine que ce thriller où flamboie une incroyable Isabelle Huppert va de nouveau faire réagir. Et c'est bien normal.

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Car cette adaptation d'un roman du sulfureux Philippe Djian (37,2 le matin) est de ces films qui bousculent tout, et sont à prendre avec de (très) très grosses pincettes. Mais pourquoi au juste ? On t'explique.

Un chef d'oeuvre... ou un film "à gerber" ?

Bon, Elle, c'est déjà une équation pas commune : un romancier français connu pour ses descriptions crues et sans filtre de la sexualité, une actrice qui ne dit jamais non à des performances radicales où elle sacrifie tout (son corps, sa santé mentale : rattraper illico La pianiste de Michael Haneke pour s'en assurer), et surtout, un cinéaste qui adore provoquer. Car l'on doit à Paul Verhoeven, le réalisateur de Elle, une flopée de films hypersexuels ou ultraviolents : Basic Instinct, Robocop, Starship Troopers, Benedetta...

Donc tu l'imagines, quand un cinéaste à ce point fasciné par le sexe et la violence (son très décrié film Showgirls en est un bon exemple) s'empare d'un sujet comme le viol, ça fait beaucoup grincer des dents, même avant l'explosion mondiale du mouvement #MeToo. Le vrai enjeu, tu t'en doutes, ce n'est pas le sujet, mais comment il est traité. Et c'est là que les discussions deviennent virulentes. A raison ?

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A sa sortie, ce film a été accusé de faire l'apologie du viol. Et (ça va ensemble) de se vautrer dans la culture du viol. Mais c'est quoi ? La culture du viol, c'est tout ce qui contribue à euphémismer le viol et les agressions sexuelles, et cela s'observe beaucoup dans les films et les séries. Lorsque des metteurs en scène "sexualisent", glamourisent presque, des scènes d'agressions sexuelles par exemple : ce fut beaucoup le cas dans Game of Thrones. Et c'est en partie ça qui est reproché à Paul Verhoeven...

Ainsi dans le Huff Post, Delphine Aslan, cofondatrice de l'association féministe FièrEs, n'a pas caché son indignation. Scandalisée, elle affirme : "Ce film fait bander les critiques : il est à gerber".

"C'est une guerre entre les hommes et les femmes"

Pour la militante, c'est indéniable, Paul Verhoeven "érotise le viol". Dans sa manière de le filmer, il en ferait quelque chose d'excitant, plus que de choquant. Ce qui va totalement à l'encontre de ce qu'est un viol, de la manière dont on doit le montrer : comme un crime, une violence abjecte. "... tu vois, une meuf qui se fait violer, y a qu'à espérer qu'elle soit un peu dénudée pour qu'on puisse mater... Vous, peut-être pas, mais nous, quand on voit une meuf qui se fait violer au cinéma, on a envie de l'aider, pas de regarder ses seins. Mais les critiques du film semblent tous s'identifier au violeur, et non à la victime", tacle Delphine Aslan.

D'une certaine manière, Elle adopterait donc le point de vue du violeur.

Et pourtant, c'est celui de Michèle, notre héroïne, qui est au coeur de tout. On quitte rarement son regard, omniprésent, on s'installe au plus près de ses émois, ses tourments, on s'exerce à sonder sa psychologie, pas toujours évidente à saisir, et en quelque sorte, on accepte de sombrer à ses côtés. C'est un personnage féminin qui n'a rien d'univalent, nous échappe, semble froid, distant, trouble, mais exige juste qu'on s'y attarde. Une protagoniste qu'on n'a pas forcément l'habitude de retrouver dans des thrillers plus conventionnels, hollywoodiens. Mais cela en fait-il pour autant un grand film sur les femmes, la condition féminine, un film féministe ?

Cela, la critique de cinéma Murielle Joudet le suggère totalement : "La condition féminine dans le cinéma de Paul Verhoeven, ce sont les femmes exposées en permanence à la violence. Et la filmographie de son actrice, Isabelle Huppert, est en ce sens un film de Verhoeven : c'est quelqu'un qui a un rapport extrêmement privilégié à la violence. Ce sont une actrice et un cinéaste totalement anti-romantiques qui montrent que les rapports entre les hommes et les femmes sont une guerre ouverte, il n'y a pas d'amour".

Tu l'auras compris, Elle est un film qui prend aux tripes, viscéral et volontairement choquant. Il est porté par une actrice intense qui n'hésite jamais à être radicale dans ses choix de carrière. Plutôt que de proposer un discours sur lequel tout le monde s'accorde, c'est une expérience ambivalente, qui dérange plus qu'elle ne conforte.

Et si tu tentais la chose pour te faire ton propre avis ? Direction Netflix.

publié le 28 mai, Clément Arbrun, Purebreak

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